Jean-Baptiste Guégan est membre de l’Observatoire du Sport Business, consultant en Géopolitique du sport, enseignant, auteur et conférencier.
L’équipe dirigée par Stephan Kandler et Bruno Dubois était à Djeddah où se sont disputées fin novembre les épreuves de la deuxième régate préliminaire. Après l’Arabie Saoudite, l’équipage français de Quentin Delapierre s’est ensuite rendu à Dubaï début décembre la sixième étape de la saison 4 du circuit Sail GP. Si les résultats ne sont pas encore complètement au rendez-vous, cette série d’oppositions est un prélude au grand affrontement de l’automne 2024. Le défi français fraie avec les favoris et se jauge au plus haut niveau en vue d’une Coupe de l’America qui promet d’être aussi relevée qu’historique.
Piloté par Quentin Delapierre et Kevin Peponnet, le challenger tricolore mérite une exposition plus importante que celle dont il bénéficie actuellement. Il est bâti pour l’instant autour d’un AC40, un bateau volant impressionnant. Le voir évoluer nous rappelle les profonds changements technologiques de la voile de compétition depuis trente ans. La Coupe de l’America n’y est pas pour rien et elle sera encore un moment fort de la révolution en cours. Véritable concentré de technologies de pointe, l’Orient Express Team Racing y participe à sa manière et il va plus loin. Il représente plus qu’un bateau de compétition ou la volonté de participer à la plus grande course nautique du monde.
Derrière chaque bord de l’équipage, c’est le sport français et la voile tricolore qui rayonnent. Après avoir reçu le haut patronage d’Emmanuel Macron, le défi tricolore s’impose comme un vecteur de la marque France et de son savoir-faire. Et c’est pour cela qu’on devrait en parler davantage : l’Orient Express Team Racing, c’est plus qu’une équipe de sailing ou qu’un collectif de passionnés. C’est la preuve de la compétitivité de toute la filière nautique nationale. Un élément et un atout de notre nation branding.
À chaque régate de l’AC40 et bientôt de l’AC75 français, c’est la capacité d’innovation technologique tricolore qui s’illustre et se confronte au reste du monde en espérant des résultats qui couronnent les choix technologiques ambitieux réalisés. Le podium tricolore, contre toutes attentes, lors des régates préliminaires à Vilanova en septembre, a montré le potentiel du défi et valide pour l’heure le modèle des outsiders français. Mais la concurrence est rude et les difficultés ne manquent pas. Dans cette 37e Coupe de l’America, le défi français fait face à des challengers qui rêvent tous de battre Team New Zealand, le tenant néo-zélandais de la Coupe : les Suisses d’Alinghi, l’équipe Italienne Luna Rossa, le team Ineos Britannia ou l’American Magic Team.
La compétition promet d’être redoutable et passionnante. C’est aussi pour ça qu’il faut parler de l’Orient Express Team Racing. Parce que c’est le défi d’une ambition, celle d’une France qui gagne. Et si l’histoire a commencé à s’écrire notamment en Arabie Saoudite, ce n’est pas pour rien.
À l’occasion des Régates Préliminaires de l’America’s Cup, l’Arabie Saoudite a montré un autre visage de sa stratégie sportive, un visage méconnu, loin du football, de la boxe poids lourds ou des courses automobiles. À Djeddah, c’est la voile de compétition high-tech qui a servi d’écrin à la communication du régime saoudien. Après les Beach Games qui se sont achevés à NEOM, le pays des Saoud regarde dorénavant la mer autrement. Dans le cadre de son projet Vision 2030, l’arrivée de la flotte des AC40 et des AC75 n’est pas anodine.
Sur les rivages saoudiens de la Mer Rouge, la flotte des Challengers n’a pas fait que se disputer le statut de favori. Elle a servi d’autres intérêts. Entre place branding et image de marque nationale, la venue des bateaux de l’America’s Cup vise plusieurs choses. Développer l’attractivité et le rayonnement de la façade occidentale de l’Arabie Saoudite est un premier point. Moderniser les représentations que l’on a d’elle en est un autre. Après les stars du foot et de la Formule 1, c’est maintenant aux voiles de la flotte de dévoiler les atours inconnus de Djeddah. Rien de tel que les challengers de l’America’s Cup pour proposer de belles images et nourrir le storytelling saoudien.
En effet, à leur manière, ils ont servi les projets de Mohammed Ben Salman, le prince héritier. Les navires qui ont régaté ont diffusé une image inattendue et très valorisante de Djeddah, la ville sise sur les rives de la Mer Rouge. Le pays des Saoud a gagné sur toute la ligne.
L’opportunité, par ailleurs, était trop belle. Le passage des équipages de l’America’s Cup et leur concours participent d’une politique utile pour un pays pétrolier parmi les plus pollueurs de la planète. Devenir un acteur du nautisme mondial, cela permet de raconter une belle histoire tout en nettoyant son image pour mieux la verdir. Si, en plus, on touche les élites du monde entier avec une histoire passionnante, pourquoi se priver ?
Avec la plus grande course de l’histoire dans ses eaux, Mohammed ben Salman, le prince héritier, s’est offert une entrée remarquée dans un univers particulièrement fermé et élitaire qui fait rêver le monde entier. Greenwashing, sport washing, marketing territorial, nation branding…, vous avez le choix. Toutes les cases sont cochées par défaut. Dans la péninsule, la frontière entre le sport et la géopolitique est depuis longtemps dépassée.
En investissant la voile et sa compétition la plus emblématique, l’Arabie Saoudite a aussi fait coup double. Si elle a fait oublier un temps son statut de pays producteur de pétrole, elle a surtout profité de l’effet de la COP 28 qui se déroule chez son voisin émirati pour exposer une image de nature et d’excellence. Une gageure permise par une stratégie d’ambush marketing redoutable et qui a le mérite d’un certain opportunisme.
Avec la promotion de NEOM et de la Marina de Syndalah, il fallait s’y attendre : l’usage géopolitique du sport n’est désormais plus limité à une affaire de voitures, de boxers ou de ballons, elle concerne désormais les voileux.
La Coupe de l’America à Djeddah a constitué l’un des premiers épisodes d’une saga qui s’ouvre et la France y joue une partition intéressante à suivre. En s’appuyant sur le soutien du Président de la République à l’occasion de la COP 28, le challenger français en a profité pour s’afficher comme un laboratoire d’innovation pour la décarbonation du maritime, un enjeu mondial qui ne manquera pas d’intéresser au-delà de l’Arabie Saoudite.