Le sport de haut niveau est parfois, souvent, toujours passionnément, une affaire de famille, une tradition qui perdure dans le temps, dans un village, dans une région. La France illustre ce phénomène, avec des fratries qui brillent depuis des décennies. Les frères Tony et Patrice Estanguet, médaillés en canoë aux Jeux olympiques entre 1996 et 2012 en sont un parfait exemple, comme les nageurs Laure et Florent Manaudou, les escrimeurs Damien et Gaël Touya ou encore les athlètes Renaud et Valentin Lavillenie.

Certaines fratries préparent, plus ou moins conjointement, les Jeux olympiques de Paris pour y figurer ensemble. C’est le cas de Nikola et Luka Karabatic, 39 et 35 ans, qui tenteront d’ajouter une nouvelle médaille d’or à leur immense palmarès en handball, mais également de Félix et Alexis Lebrun, talents bruts du tennis de table tricolore sous les projecteurs ces derniers mois, qui auront, eux, à cœur de briller face à l’armada chinoise. Mais ils ne sont pas seuls. deux autres tandems du sport français touchent du doigt les Jeux olympiques.

Christo (22 ans) et Tomi (25 ans) Popov, numéros 1 et 2 du badminton français, sont respectivement 21e et 25e au classement mondial. Mais une seule place sera réservée à un Français dans le tableau final du simple hommes, sauf si les deux rejoignent le top 16, ce qui est plus qu’improbable.

Une concurrence saine règne entre les deux frères, très proches. « Ce n’est pas parce que c’est une année olympique qu’on doit se tirer la bourre au niveau du classement mondial », affirme Christo, d’un ton assuré. « Quoi qu’il arrive, on sera fiers que ce soit une personne de la “Team Popov” qui se qualifie pour les Jeux olympiques en simple. C’est déjà un exploit pour la famille qu’on soit deux de la même famille à concourir pour une seule place », expose fièrement Christo, le cadet.

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Né en Bulgarie, Tomi est arrivé en France à 6 ans avec ses parents et son petit frère Christo, alors âgé de 1 an et demi. Après la chute de l’URSS en 1991, qui a engendré une restructuration et une reconsidération à la baisse du sport de haut niveau dans son pays, la famille Popov a décidé de s’exiler au début des années 2000. « On m’a jeté dans le bain en France alors que je ne parlais pas la langue, cela a été compliqué pour moi », avoue Tomi, dans un français aujourd’hui irréprochable. « Le sport a été un refuge pour moi, tout le monde est égal dans un gymnase. Puis j’ai appris la langue à l’école, en six mois, et ça s’est arrangé », ajoute-t-il en se replongeant dans son enfance.

De son côté, Christo a vécu plus facilement ce changement de vie radical puisqu’il est arrivé plus jeune à Fos-sur-Mer, où habitent toujours les deux frères. « J’ai grandi plus vite que les autres, je ne restais qu’avec des gens plus âgés donc c’est ce qui m’a donné la maturité que j’ai aujourd’hui », complète Christo. « Pendant que j’étais en CM2 et Christo en CP, je restais beaucoup avec mon frère. J’ai toujours eu ce rôle de “frère protecteur”, que ce soit dans la vie de tous les jours ou sur les compétitions », ajoute Tomi.

Le badminton est une histoire de famille pour les Popov, qui « baignent dedans » depuis « leur plus tendre enfance », comme le raconte le frère aîné. Le père, Toma, dit « senior », est un ancien champion de badminton bulgare. Il est aussi le coach de ses deux fils depuis toujours, et ne supporte aucun des deux lorsqu’ils s’affrontent. Leur mère et leur grand-mère étaient elles aussi dans ce sport en tant qu’arbitres. Les Fosséens sont inséparables depuis toujours, c’est d’ailleurs comme cela que leur père les décrit : « Ce sont deux frères fusionnels. Même s’il y a parfois des tensions, deux minutes après ils se réconcilient. Ce sont des frères avant tout. Même s’ils se disputent pour des enjeux très importants, l’esprit familial reste au-dessus de tout. Ce sont deux frères qui s’aident l’un l’autre. L’un avance, l’autre le rattrape, il y a une émulation entre eux. Ils s’adorent. »

Tomi et Christo ont le même programme d’entraînement, à Fos-sur-Mer, où ils s’entraînent trois fois par jour. En dehors des terrains, ils logent toujours ensemble, dans le foyer familial. « Nous ne sommes pas chez nous 80 % du temps de l’année, donc louer des appartements, c’est un peu bête. Mais chacun a sa vie privée. Quand ils ont des jours libres, l’un part avec sa copine à gauche, l’autre va faire quelque chose avec sa copine à droite… Chacun profite de son temps libre comme il le souhaite bien sûr », sourit leur père, qui entraîne également son troisième fils, Boris, qui aspire aussi à devenir badiste professionnel. « De l’extérieur, on dirait qu’il n’a pas de pression. Mais de l’intérieur, je pense que si. Malheureusement, je suis beaucoup en déplacement, donc j’ai peu de temps à lui consacrer, mais je fais au mieux et il s’entraîne aussi avec des entraîneurs du club. Lui aussi veut rester dans le sport, peut-être devenir coach, comme moi », s’égaye Toma.

Aujourd’hui, Tomi et Christo font jeu égal, ou presque. Le score tourne en faveur de l’aîné un jour, puis à l’avantage du cadet le suivant. Aux championnats de France, début février, les deux Français se sont retrouvés pour la troisième fois consécutive en finale. Christo s’est imposé cette année, comme en 2022, et contrairement à 2023. Le cadet a pris les devants ces dernières semaines, avec un titre en Allemagne et une demi-finale dans un tournoi majeur à Birmingham, où son frère s’est incliné d’entrée.

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En double, ils ont également remporté ensemble les championnats de France 2024, et peuvent espérer disputer les Jeux olympiques. Ils pointent à la 45e place mondiale et, même combat qu’en simple, il faudra être numéros 1 français pour espérer retrouver l’Arena Porte de la Chapelle, qu’ils avaient découvert en mars dernier lors des Internationaux de France. Toutefois, Lucas Corvée et Ronan Labar, 40es mondiaux, mènent la danse. Le contingent français sera fixé le 28 avril prochain, inutile d’ajouter que les prochains tournois seront cruciaux pour les deux frères.

Eux aussi sont fusionnels. D’ailleurs, ne les appelez pas par leurs prénoms. Mais « les frères Mawem ». C’est leur surnom, leur appellation publique, leur marque de fabrique. Ces deux escaladeurs, âgés de 39 (pour Bassa) et 33 ans (pour Mickaël), ont mis à profit leur fraternité pour se distinguer des sportifs lambda. En témoigne leur présence sur les réseaux sociaux, puisque les deux frères nés à 17.000 kilomètres l’un de l’autre (le premier à Nouméa, le second à Nîmes), n’ont qu’un compte, sur Instagram, X ou encore TikTok, où ils sont suivis par plus de 300.000 personnes.

« On s’aime, mais en fait on n’a pas le choix (rires). Depuis que nous nous sommes lancé ce projet (de vivre de l’escalade), on a tout fait pour que ça fonctionne ensemble. On n’a jamais parlé de Mickaël et Bassa Mawem, mais toujours des frères Mawem », reconnaît Mickaël. Les deux hommes partagent tout, ou presque. « Aujourd’hui, nos partenariats se font ensemble. Si une marque me contacte mais ne veut pas travailler avec Bassa, on n’y va pas. Ce qui nous anime, ce qui nous motive à nous donner à fond, c’est le fait qu’on fasse tout ensemble », ajoute le cadet.

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Comme pour Tomi et Christo Popov, les Jeux olympiques représentent beaucoup pour ce binôme. Mais tout reste à faire pour Mickaël, qui n’a pas encore décroché son ticket pour Paris 2024, malgré son titre mondial en 2023. Ce qui représente une petite inquiétude pour son grand frère. « Mon premier objectif est de faire en sorte que mon frère (spécialisé dans le bloc) me rejoigne », avoue Bassa, avant même de penser à ses performances. « J’aimerais vivre cette dernière expérience avec lui. »

Une ultime montagne à franchir pour Bassa et Mickaël, qui arrêteront ensemble leur carrière sportive après les Jeux de Paris. « Aujourd’hui, si mon frère ne faisait plus d’escalade, j’aurais arrêté, et vice-versa, affirme Mickaël. Ce projet (leur carrière), on l’a démarré ensemble et, dès le départ, on s’était dit qu’on le finirait ensemble. Ce n’est pas quelque chose qu’on a écrit sur un contrat (sourire), mais c’est en nous. Il (Bassa) est ma source de motivation pour rester à ce niveau-là. »

Inutile de dire qu’ils sont très proches. Et cette relation ne date pas d’hier. « De 13 à 16 ans, je faisais pas mal de bêtises… Mickaël me balançait tout le temps à notre mère. Un jour, je me suis dit que j’allais le mettre dans mes conneries, comme ça, il ne pourrait plus nous dénoncer. Depuis, j’avais toujours de quoi lui dire “si tu me balances, je te balance”, donc il a arrêté », s’amuse Bassa, spécialiste de la vitesse, qui garde de précieux souvenirs de leur enfance, difficile et marquée par la précarité.

Contrairement aux Popov, la famille Mawem ne baigne pas dans l’escalade. Ni dans le sport, d’ailleurs. Ce n’est qu’une histoire entre Mickaël et Bassa. Nés dans une famille de six enfants, les deux hommes ont cependant un lien très étroit avec leur famille, comme le confie leur grande sœur, Olivia : « C’est un duo hors pair. Ils ont un sens de la famille très marqué. Même s’ils ne sont pas toujours d’accord, ça ne se ressent jamais. L’un ne va pas sans l’autre ».

Ce qui rapproche cette famille nombreuse, « c’est cette envie de réussite, qu’elle soit sportive ou non. Une envie de réussite que l’on partage tous. On n’en a pas simplement envie, on met des choses en place pour le faire », raconte Mickaël, fier et sûr de lui, à l’image de la détermination des membres de la famille dans tout ce qu’ils entreprennent. Après leur carrière, « Miky Max » – comme le surnomme Bassa – et son grand frère continueront à développer leur salle d’escalade, ouverte en 2021 à Colmar. Mais pour l’heure, l’esprit des Mawem est focalisé sur les Jeux olympiques.