«Ma course a changé ». Dans le troisième volet de son carnet de bord autour du monde, le navigateur Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild), large leader de l’Ultim Challenge, raconte comment il aborde les mers du Sud et évoque les conséquences de son avance :
Je suis dans les mers du Sud depuis quelques jours et cela fait toujours quelque chose d’y entrer. L’ambiance, la température, la brume, la lumière… tout change. L’eau et l’air sont très froids, le vent est violent quand il vient taper sur tes épaules et la mer peut être très désordonnée.
C’est un endroit où on a rarement de répit… Pendant 15 à 20 jours, on va enchaîner les dépressions. Mais à ce stade, j’ai une météo qui m’épargne plutôt bien donc j’en profite.
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Je suis content d’être arrivé en tête dans l’Océan Indien. L’Atlantique nord n’a pas été très rapide, mais dans le sud, on a attrapé une belle dépression au large du Brésil. On était juste devant, avec une mer plate, du vent. Je ne pouvais pas rêver mieux car le bateau avançait tout seul.
Sur la fin, j’ai freiné, mais j’aurais peut-être même pu battre le record des 24 heures en solitaire (851 milles parcourus par François Gabart en 2017). Ce bateau est tellement incroyable.
L’émulation avec Tom (Laperche) a été capitale pour réussir un chrono pareil (12 jours 1 heure 14 minutes à Bonne-Espérance). On parlait tous les jours, on était un peu compagnons de route et on se tirait la bourre de façon très amicale. J’ai beaucoup de tristesse pour ce qui lui est arrivé (avarie majeure après une collision). C’est quelqu’un que j’admire beaucoup et cela aurait pu m’arriver aussi.
Ce serait toutefois mentir de dire qu’il n’y a pas une petite part de moi qui est plus détendue maintenant. Il me bousculait, c’était extrêmement usant et là, ça fait un concurrent sérieux en moins. S’il était encore là, je serais beaucoup plus fatigué.
Ma course a changé désormais. Avec une telle avance, on va pouvoir faire le choix de ne pas prendre les routes optimales, mais celles qui préservent le bateau. On peut essayer d’éviter les zones de mer fortes.
C’est un peu étrange, j’ai passé ma vie à tenter d’aller plus vite en bateau, à compter chaque mille et là, j’en suis à limiter ma vitesse et à chercher moins de mer. C’est un luxe incroyable et c’est la particularité de ce challenge qui est presque une course à élimination. Mon avance ne me sert à rien si je casse le bateau.
Pour l’instant, il est en bon état et je n’ai pas de problème technique. Donc forcément, le moral est bon. On est devant et les conditions sont plutôt faciles. Mais je n’ai pas le temps de m’ennuyer. Soit je dors, soit je bricole, je range ou je fais la vaisselle. Je me surprends à prendre beaucoup de plaisir en mer alors que, contrairement à d’autres marins, je ne suis pas quelqu’un qui rêve de passer des semaines en solitaire. D’ailleurs, j’essaie de me mettre un peu des barrières mentales pour ne pas trop penser à la terre.