Quelles solutions ? Avec l’accroissement des chutes aussi impressionnantes que dangereuses, comme celle qui a impliqué Jonas Vingegaard (Visma-Lease a Bike), Remco Evenepoel (Soudal-Quick Step) ou encore Primoz Roglic (Bora-Hansgrohe), ce jeudi lors de la 4e étape du Tour du Pays Basque, il apparaît (de plus en plus) crucial de trouver des moyens de diminuer les risques d’incidents graves sur les courses cyclistes. Le Figaro fait le point sur les pistes envisagées.

Pour beaucoup, l’amélioration constante du matériel est l’une des causes principales de certaines chutes à grande vitesse. En effet, avec des bicyclettes toujours plus aérodynamiques et légères, les coureurs sont (logiquement) de plus en plus rapides : «Les vélos sont optimisés à 110% avec les pneus, le cadre, les roues, la potence, ce sont des machines de guerre qui vont très très vite, indique à RMC Sport Julien Jurdie, le directeur sportif de Décathlon AG2R La Mondiale. Et quand tu mets un super athlète bien entraîné, la combinaison avec le matériel fait que ça va très vite. La vitesse est vraiment importante.» Les machines sont certes plus maniables que par le passé…mais dans le même temps, à cause de leur rigidité, elles peuvent être plus difficiles à contrôler dans certaines situations (surtout avec des cintres de plus en plus étroits). Comme l’explique Marc Madiot, le manager de Groupama-FDJ : «Le carbone n’a aucune souplesse. La moindre petite aspérité sur la route, vous la prenez dans le guidon. Si vous êtes bien concentré et que vous serrez bien le guidon, ça passe. Si vous êtes un peu relâché, ça ne passe plus», a-t-il affirmé dans un entretien accordé à Ouest-France. Alors, forcément, l’une des pistes envisagées pour réduire le nombre d’incidents graves est de stopper cette course effrénée à la «technologie». Une idée (sans doute) difficile à mettre en place.

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Dans la même veine, de nombreux acteurs du monde du cyclisme fustigent l’emploi des freins à disque – qui permettent de freiner plus tard et plus fort – qu’ils jugent plus dangereux que les patins…à plus d’un titre. D’une part, ils seraient à l’origine de certains «blocages». «Le freinage à disque pose problème. Sur du freinage d’anticipation, c’est merveilleux. Mais dès que vous êtes dans du freinage d’urgence et que l’instinct de sauvegarde fait que vous êtes dans le blocage, immédiatement vous partez à la faute parce que vous gardez de l’adhérence», a expliqué à RMC Sport Pascal Chanteur, le président du syndicat national des cyclistes professionnels. D’autre part, l’arrivée des disques aurait donné davantage d’assurance aux coureurs qui prendraient, par conséquent, plus de risques, notamment en roulant de plus en plus près les uns des autres : «Avant, avec les patins, sous la pluie, tu étais sur la retenue, tu laissais une marge de sécurité. Plus maintenant. Avoir confiance en son vélo pousse à commettre des fautes», estime Pello Bilbao, le Basque de Bahrain-Victorious, dans des propos rapportés par L’Équipe . Enfin, les disques se révèleraient (aussi) très dangereux lors des chutes car ils couperaient «comme des rasoirs», pour reprendre l’expression de Romain Bardet (Team DSM-Firmenich PostNL) dans le quotidien sportif. C’est pour toutes ces raisons que certains, comme Marc Madiot, recommandent d’interdire les freins à disque.

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Pour réduire la vitesse, et par conséquent les chutes extrêmement dangereuses, nombreux sont ceux qui pensent qu’il convient (entre autres) de s’intéresser aux braquets. «L’évolution des braquets est hallucinante, chaque année on monte d’une dent. Quand je suis passé pro (en 2018), tout le monde était sur du 53×11 mais on est très vite passé au 54 et aujourd’hui, sur les étapes toutes plates, tu es obligé de mettre du 56 si tu veux suivre», confie le champion de France Valentin Madouas (Groupama-FDJ) dans les colonnes de L’Équipe. C’est pourquoi il propose d’instaurer un braquet maximum «sinon dans deux ans tout le monde sera à 58×11, c’est une évidence». Son manager Marc Madiot semble partager son avis : «Aujourd’hui, avec les freins à disque, les braquets démentiels, il n’y a plus de temps de réponse dans le freinage, explique-t-il dans un entretien accordé à Ouest-France. J’ai vu le truc à Gand-Wevelgem : j’étais en voiture, et sur des portions plates vent portant, on était à plus de 70 en permanence. Sur le plat ! Et quand on roule avec 62 x 11 de braquet, forcément, tout va plus vite.» Seront-ils écoutés ?

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Faut-il supprimer, ou du moins limiter, l’utilisation des oreillettes ? C’est l’un des plus vieux débats dans le monde de la Petite Reine. À la base, il était question de sport, de spectacle. Désormais, il revient sur la table pour des raisons de sécurité. En effet, avec les oreillettes, les directeurs sportifs ont l’occasion de pousser leurs coureurs à se replacer régulièrement, et notamment lors de passages sensibles, ce qui engendre forcément des situations très tendues dans le peloton. «Il faut nous laisser les rênes de la course dans le feu de l’action. On se retrouve souvent dans des situations de stress extrême pour rien. Les oreillettes créent des coureurs robotisés, téléguidés, et des situations de danger artificiel», estime Romain Bardet, toujours dans L’Équipe. Marc Madiot n’en pense pas moins. Pour argumenter, il prend un exemple concret, celui de la chicane installée à l’entrée de la Trouée d’Arenberg, sur Paris-Roubaix : «Qu’est-ce qu’on va dire dimanche dans l’oreillette avant la Trouée d’Arenberg ? On va tous dire la même chose, sans exception : ’Replacez-vous, il faut aborder la chicane en tête’, assure-t-il dans les colonnes de Ouest-France. Il y a une bonne volonté de la part des organisateurs. Je comprends que (Thierry) Gouvenou en ait marre de voir des clavicules cassées sur l’entrée des pavés mais, comme je lui ai dit au téléphone hier (mercredi), au lieu de tomber sur les pavés, ça va tomber avant.» Pour le moment, l’interdiction des oreillettes n’est défendue que par une minorité d’acteurs du milieu cycliste. La plupart d’entre eux souhaitent les conserver, considérant qu’elles permettent de prévenir des dangers de la route et donc de limiter les incidents. Autant dire que cette idée n’a que très peu de chances d’aboutir (pour le moment).

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Parmi les autres pistes envisagées, il y a celle de la suppression des compteurs et capteurs de puissance en course. Le but ? Faire en sorte que les coureurs aient (davantage) les yeux rivés sur la route plutôt que sur leur écran. «Aujourd’hui, le coureur sur son vélo, il est comme un mec dans sa bagnole qui a son téléphone avec Waze et ses écrans. On n’est pas concentrés de la même façon que quand on n’a rien du tout», estime Marc Madiot dans Ouest-France. Bien qu’elle apparaisse intéressante sur le papier, cette idée ne fait pas non plus l’unanimité. «Mais tout ça, ce sont des batailles perdues», regrette le manager de Groupama-FDJ.

Afin de diminuer le nombre de chutes à haute vitesse, il semble important aussi d’améliorer l’état des routes, ou du moins d’éviter de faire passer les coureurs sur des chaussées abîmées. D’ailleurs, le mauvais état de l’asphalte pourrait être à l’origine de la grave chute survenue ce jeudi sur la 4e étape du Tour du Pays Basque. C’est en tout cas l’avis de plusieurs participants. «Je connais la descente, l’asphalte est un peu abîmé par des racines d’arbres», a révélé le local Pello Bilbao dans des propos rapportés par L’Équipe . Le nouveau leader du classement général, le Danois Mattias Skjelmose (Lidl-Trek) a dit la même chose au terme de l’étape : «La route était vraiment bosselée, on se battait pour les meilleures positions et on est arrivés un peu vite. Il n’y avait rien à faire c’est vraiment pas de chance et ce n’est la faute de personne», a-t-il déclaré. Mais comment faire en sorte d’améliorer les routes ? C’est une autre question…

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Autre piste : renforcer (encore plus) la signalétique au niveau des passages dangereux. C’est la proposition portée par Romain Bardet : «Ce qu’on peut voir sur le Tour de France, il faut le rendre automatique partout. Je n’ai jamais vu de comportement dangereux d’un coureur dans un virage bien signalé, avec un mec qui siffle ou un panneau avec un signal sonore, souligne le Français, victime d’une chute importante sur Tirreno-Adriatico. Ça demande plus de logistique, plus d’infrastructures, mais vu la tournure que prennent les choses, il faut y réfléchir.» Très intéressante sur le papier, cette idée nécessite plus de moyens. Si les plus grandes organisations pourraient se le permettre, il n’est pas certain que les courses de moindre ampleur puissent. Mais ce serait déjà ça de pris !

L’une des solutions préconisées pour réduire la vitesse des coureurs est de les obliger à freiner en s’appuyant sur des aménagements routiers. C’est exactement ce qui a été mis en place pour l’édition 2024 de Paris-Roubaix, qui aura lieu ce dimanche. En effet, pour faire en sorte que les coursiers n’entrent pas dans la Trouée d’Arenberg, l’un des secteurs pavés les plus difficiles de l’Enfer du Nord, à plus de 60 km/h, les organisateurs, sur demande du syndicat des coureurs, ont installé une chicane quelques mètres avant. Ainsi, les coureurs devront contourner l’îlot, avec notamment un demi-tour gauche. Ils devraient alors aborder la Trouée d’Arenberg à près de 25 km/h. Une mesure saluée par plusieurs acteurs, comme Richard Plugge. «Super boulot. Ensemble, nous faisons passer la sécurité de notre sport à la vitesse supérieure», a applaudi le manager de Visma-Lease a Bike. Toutefois, plusieurs voix se sont élevées pour critiquer cette initiative. Et en première ligne Mathieu van der Poel (Alpecin-Deceuninck) pour qui «la chicane rend la course encore plus dangereuse». «C’est bien que les gens essaient quelque chose, mais à mon avis, ce n’est pas la bonne méthode», a ajouté le champion néerlandais. Il faudra sans doute que cette piste soit davantage réfléchie pour qu’elle fasse consensus.

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Logiquement, pour diminuer le nombre de chutes, il faut aussi trouver un moyen de limiter les comportements dangereux dans le peloton. Christian Prudhomme, le patron du cyclisme chez ASO (Amaury Sport Organisation), a indiqué que des systèmes «d’avertissements, de cartons jaunes, rouges» étaient «à l’étude». Le but ? «Sanctionner les comportements, éloigner les coureurs qui ne respecteraient pas les règles», a déclaré le directeur du Tour de France dans une interview accordée à France Bleu Nord . Selon lui, les coureurs «doivent faire la différence là où ils le peuvent sur un terrain sportivement probant et sélectif, mais pas en prenant des risques insensés». Un tel système serait une petite révolution dans le monde de la Petite Reine.

Une autre piste qui pourrait être explorée concerne les protections des coureurs. Comme l’indiquait l’an dernier au Figaro Frédéric Grappe, le directeur de la performance de Groupama-FDJ, «les seules protections dont on dispose aujourd’hui sont le casque et les gants». Et selon lui, de belles avancées pourraient être faites dans ce domaine. «On peut avoir recours aux cuissards renforcés afin d’éviter les abrasions mais ce n’est pas très développé, nous expliquait-il en juin 2023, après la chute qui avait coûté la vie à Gino Mäder. On pourrait très bien obliger les coureurs à mettre des coudières. Ils s’y feraient, ou réfléchir à une lame en carbone au niveau des épaules… Mais avant de s’engager sur cette voie, faisons un vrai travail sur les chutes pour comprendre où et comment proviennent les traumatismes.» En outre, certains équipementiers ont mis au point des airbags enveloppant toute la tête. Néanmoins, ils n’ont pas été adoptés par le cyclisme professionnel, ou plus généralement par le monde de la compétition, notamment parce qu’ils sont plus lourds et plus encombrants. Une chose est certaine : améliorer les protections des coureurs est l’une des pistes qui semblent avoir le plus d’avenir.