Psychiatre et psychothérapeute, Antoine Pelissolo est chef de service au sein des hôpitaux Henri-Mondor et ­Albert-Chenevier à Créteil et professeur de médecine à l’Université Paris-Est Créteil. Il est l’auteur de Les Phobies : faut-il en avoir peur ? (Le Cavalier bleu, 2013) et Vous êtes votre meilleur psy ! (Flammarion, 2017).

Le FIGARO. – Quand on a la phobie des chats ou de l’avion, il semble impensable, presque impossible de s’en libérer.

Antoine PELISSOLO – Si vous ne faites rien, ce trouble a en effet peu de chances de disparaître ! La phobie est une peur réflexe qui échappe au raisonnement et ne s’apaise pas toute seule – sauf parfois chez les enfants, dont la peur du noir, très fréquente, s’estompe progressivement. Lorsque vous souffrez d’une phobie, vous évaluez mal le danger, celui auquel vous êtes véritablement confronté ou celui que vous anticipez. Quand vous avez peur de l’avion, vous paniquez parfois avant même d’entrer dans l’habitacle. Idem avec les chats : l’idée d’aller dîner chez votre voisine qui en possède plusieurs vous tétanise.

Plus vous avez peur, plus vous évitez. Vous prenez alors la voiture ou conviez vous-même votre voisine à dîner. Mais ainsi, vous ne modifiez pas le message de danger et il finit par s’imprimer dans le cerveau. Se libérer d’une phobie implique donc une démarche volontariste : vous devez vous donner les moyens de réapprendre à fonctionner différemment, d’un point de vue comportemental, cognitif et émotionnel.

Par quoi passe la guérison ?

Il faut savoir que l’on peut désapprendre la peur, à tout âge et quelle que soit la phobie, dans la mesure où celle-ci n’est pas associée à d’autres pathologies comme la dépression ou l’addiction. Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) sont efficaces car elles jouent sur plusieurs tableaux. Au niveau du comportement, vous vous exposerez progressivement à ce que vous craignez et constaterez que vous survivez malgré l’emballement du corps et de l’esprit ; vous apprendrez à réagir autrement et trouverez peu à peu les moyens de gérer votre entrée dans un aéroport par exemple, ou de tolérer la présence d’un chat.

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Au niveau cognitif, c’est un travail de psychoéducation qui sera entrepris : savoir comment fonctionne un avion ou repérer vos croyances vis-à-vis des félins vous aidera à prendre du recul. Au niveau émotionnel enfin, vous vous entraînerez à évaluer l’intensité de vos ressentis et vous familiariserez avec des techniques de relaxation ou de respiration qui faciliteront la désensibilisation.

La recherche a-t-elle permis de mettre au point d’autres traitements ?

Ces TCC, dont on sait qu’elles fonctionnent depuis plus de 50 ans, peuvent être complétées par des dispositifs numériques comme la réalité virtuelle, mais aussi des plates-formes ou des applications qui viennent, à distance, soutenir le processus thérapeutique. Deux autres pistes sont également à l’étude : d’abord, la meilleure connaissance des bases neurocognitives des phobies a permis de mettre au point des thérapies de « remédiation », informatisées, qui visent à corriger les biais attentionnels, c’est-à-dire la façon dont le cerveau traite les informations en fonction de nos préoccupations ou de nos centres d’intérêt ; enfin, des molécules pourraient permettre d’accélérer l’effet des TCC, ce que l’on appelle les TCC « augmentées ». Ces pistes sont prometteuses mais doivent encore être validées. D’autres approches ou techniques sont aussi bénéfiques pour les patients, comme l’EMDR (mouvements des yeux), la méditation ou la sophrologie.

Si les remèdes existent, pourquoi on ne se soigne pas ?

Ce trouble anxieux est très répandu puisque 10 à 15 % de la population en souffre. Mais la plupart des gens s’y accommodent. Ils ont conscience de leur phobie et ont appris à vivre avec, grâce à ces stratégies d’évitement dont nous parlions. Très souvent, ils ne consultent pas, voire s’en amusent : « C’est ma nature ! » Et pourquoi pas ? L’important est qu’ils aient été informés que des traitements existent. Après, c’est à chacun de choisir de les suivre ou pas.

Cela dépend du type de phobie dont vous souffrez, de la fréquence et de l’intensité de votre peur, de son impact dans votre quotidien, de son évolution aussi : semble-t-elle stable ou s’aggrave-t-elle ? Si vous avez la phobie de l’avion, que vous êtes amené à voyager fréquemment et que vous faites des attaques de panique, pourquoi ne pas songer à retrouver votre liberté ?

D’où vient cet emprisonnement mental ?

Les recherches n’ont pas encore permis de déterminer précisément l’origine des phobies. Cependant, elles mettent en évidence trois facteurs participant au risque d’en développer : un tiers viendrait d’un événement vécu plus ou moins traumatisant ; un autre tiers serait issu de l’éducation ; le dernier tiers reposerait sur une forme de prédisposition biologique à l’anxiété.

Justement, peut-on être phobique de tout et de n’importe quoi ?

Dans l’absolu, oui. Vous trouverez toujours quelqu’un qui a une peur bleue des stylos ! Vous pouvez d’ailleurs vous amuser à réviser votre grec ancien avec un quiz sur les centaines de phobies répertoriées à ce jour, l’émétophobie par exemple. Cependant, on peut observer de grandes familles : la peur des hauteurs (l’avion, le vide), des prédateurs (les chats, chiens, serpents, araignées), des espaces clos (l’ascenseur, la cave), des autres (les transports en commun, la phobie sociale) ou de tout ce qui attente à l’existence (la maladie, le sang). Ce qu’il est intéressant de remarquer est que toutes ces craintes sont légitimes au regard de la survie : nos lointains ancêtres avaient tout intérêt à se méfier des tigres, de l’enfermement, des inconnus ou encore des blessures. Le sentiment de peur éprouvé de façon archaïque leur permettait de s’éloigner des dangers ou d’y faire face. Il y a probablement dans nos phobies d’aujourd’hui un reste de cet héritage.

Les phobies sont-elles en augmentation ?

Depuis la pandémie, on observe une hausse de certaines familles de phobies, celles qui sont en lien avec la santé naturellement, la peur des maladies (nosophobie) ou des microbes (mysophobie). Les phobies liées à la présence de l’autre semblent aussi s’accentuer, comme la phobie sociale ou l’agoraphobie mais aussi, et c’est préoccupant pour la jeune génération, la phobie scolaire. Ces phobies peuvent par ailleurs être associés à des troubles obsessionnels et compulsifs. Imaginons que vous craignez d’être contaminé. En cas de phobie, vous pensez que l’extérieur est dangereux, donc vous ne sortez pas ; en cas de TOC, vous pensez que le danger vient de votre propre comportement, donc vous vous lavez les mains mille fois. Ces deux troubles peuvent être présents chez une même personne et sont donc particulièrement invalidants. Mais je le répète : lorsque l’angoisse est telle qu’elle fait souffrir fréquemment et/ou intensément, il ne faut pas hésiter à demander l’aide d’un professionnel. Des solutions existent, il faut vous en emparer si vous en avez besoin.