Le blanc coupable d’être une «couleur supérieure». C’est ce qu’étudie le gouvernement norvégien, qui finance actuellement un projet de recherche intitulé «Norwhite» visant à déterminer le caractère «privilégié» de la peinture blanche.
L’étude, dans laquelle le gouvernement norvégien a injecté 1,2 million de dollars, cherche à découvrir comment (et non pas si) le pays a contribué à la diffusion et la supériorité de la «blanchité» dans le monde, via le colonialisme… Et la peinture blanche. Commercialisée à l’origine par la Norvège, elle domine aujourd’hui l’architecture urbaine dans le monde entier.
Ce projet s’inscrit dans le cadre des whiteness studies, les «études académiques sur la blanchité», un champ de recherche anglo-saxon né dans les années 1980, qui questionne les modalités de construction sociale de la population blanche.
Cette initiative, qui durera jusqu’en 2028, est notamment parrainée par Titania AS et Kronos Titan, les deux entreprises auxquelles on doit la production et la popularisation mondiale du blanc de titane, une peinture blanche d’origine norvégienne. Porté par l’université de Bergen, le projet de recherche, conçu par l’historienne de l’art et de l’architecture Ingrid Halland et intitulé «Comment la Norvège a rendu le monde plus blanc», décrit la «blanchité» comme «l’une des principales préoccupations sociétales et politiques actuelles» dans le monde. Elle insiste notamment sur la symbolique accolée à cette notion, qui véhicule une «structure culturelle et visuelle de privilège».
Concrètement, le blanc serait aujourd’hui omniprésent, notamment dans l’architecture urbaine. Il serait plus courant de voir des immeubles blancs que des maisons rouges. «La blanchité n’est pas seulement une condition culturelle et sociétale liée à la couleur de la peau, aux privilèges et à l’exclusion systématique», explique ainsi la chercheuse, «elle se matérialise partout autour de nous.»
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À cette fin, le projet Norwhite étudie le composé chimique du dioxyde de titane et du pigment blanc de titane, procédés chimiques découverts par deux scientifiques norvégiens au début du XXe siècle. Le brevet pour le dioxyde de titane a en effet permis le développement du pigment blanc de titane : c’est ce dernier qui a révolutionné l’industrie de la couleur en introduisant sur le marché une peinture d’un blanc absolu, non toxique et résistant aux mauvaises colorations dues à la saleté et à la rouille.
Utilisé par la suite partout dans le monde, on trouve ce pigment dans le revêtement pour le béton, le glaçage de la céramique, et même dans la composition du plastique. Pour Norwhite, il s’agit de déterminer la façon dont ce pigment a transformé les surfaces dans l’art, l’architecture et le design. Pour Norwhite, la supériorité sociale de la couleur blanche est aussi liée à la création et à la commercialisation de cette peinture.
Le blanc omniprésent, donc dominant ? Michel Pastoureau nuance cette opinion. «Dans beaucoup de sociétés, la signification d’une couleur est avant tout liée à un objet, à un support, et ne véhicule aucun symbole par elle-même», explique l’historien-chercheur, spécialiste de la symbolique des couleurs. En Europe, la symbolique des couleurs, qui apparaît dès le Moyen-Âge, prête à chaque teinte de bons et de mauvais aspects. «Il est vrai que le blanc a plus de vertus que de vices. Il est associé à l’idée de beauté, d’innocence et de propreté», poursuit le chercheur : dans les sociétés européennes, les domaines techniques associent bien le blanc à l’idée de «sérieux et de modernité», et dénigrent les couleurs vives, jugées trop «vulgaires». «En Europe, on privilégiera toujours un ordinateur blanc ou noir», sourit l’historien, «qui fait plus sérieux qu’un ordinateur violet.»
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Mais «il ne s’agirait pas d’étendre cette conception aux sociétés non-européennes, qui donnent la part belle aux couleurs plus vives». Comme l’Inde, par exemple, où les murs des villes forment une palette de teintes bigarrées. Ou encore l’Asie, où le rouge dont s’enveloppent les femmes qui se marient, domine. Ce serait «tirer sur la corde» que de dire que le blanc est une «couleur supérieure partout dans le monde», poursuit Michel Pastoureau, «associer au blanc l’idée d’une supériorité hégémonique mondiale, c’est oublier qu’en Asie et en Afrique le blanc est la couleur de la mort et du deuil.» A l’échelle mondiale, «c’est le rouge qui est la couleur par excellence, la première que l’humain a d’ailleurs fabriquée.»