Saluée par certains sportifs, la décision inédite de World Athletics de verser des primes aux médaillés d’or des JO 2024 sème la zizanie dans le monde de l’olympisme, où aucune autre Fédération internationale n’a été consultée, alors que leurs finances ne permettent souvent pas de suivre cette voie. Certes, le combat pour l’amateurisme du fondateur des Jeux modernes, Pierre de Coubertin, était déjà un lointain souvenir lorsque l’instance mondiale de l’athlétisme est devenue, la semaine dernière, la première à annoncer des récompenses, à hauteur de 50.000 dollars, pour ses futurs champions olympiques.
La dotation globale permettant de couvrir les 48 épreuves de la discipline, soit 2,4 millions de dollars (2,2 millions d’euros), sera prise sur l’allocation versée tous les quatre ans par le Comité international olympique (CIO) à World Athletics, qui avait perçu près de 40 millions de dollars après les JO-2020 de Tokyo comme après ceux de 2016 à Rio. Si les retombées financières des Jeux de Paris (26 juillet-11 août) ne sont pas encore connues, la fédération internationale assure qu’elle versera aussi des primes aux médaillés d’argent et de bronze à compter des JO 2028 de Los Angeles.
«C’est une très bonne initiative de World Athletics», s’est réjoui le sprinteur norvégien Karsten Warholm. «Je pense que c’est leur façon de montrer qu’ils veulent pousser encore plus pour que cela devienne un sport professionnel». Mais «la proposition n’a pas été discutée» avec le reste du mouvement olympique, a déploré jeudi David Lappartient, le président de l’Union cycliste internationale (UCI), évoquant «un changement des valeurs olympiques» si cela doit «aller au bout. Depuis le début, les champions olympiques ne touchent pas d’argent», a-t-il rappelé, quand bien même chacun monnaie sa gloire sportive en contrats divers – dans des proportions extrêmement variables selon les nationalités et les disciplines.
En ciblant «des happy few» selon leurs résultats, la décision de World Athletics contredit l’idée que les fonds alloués par le CIO «le sont pour le développement du sport, pour la solidarité», a encore insisté le dirigeant français. Il s’agit de «renflouer les comptes en banques des athlètes non nécessiteux plutôt que d’aider ceux qui en ont le plus besoin», a de son côté dénoncé l’Association des comités olympiques nationaux d’Afrique (Acnoa), rappelant «le gouffre» entre les sportifs des pays les plus riches et les autres, et la «richesse sociale inégalable» que peut constituer l’athlétisme sur le continent africain.
Jeudi, sa commission des athlètes s’est également inquiétée «au sujet du sport propre, car en augmentant encore l’incitation à gagner, les athlètes pourraient être exposés à des paris, des manipulations ou des pressions pour se tourner vers le dopage». Plus largement, le cavalier seul de World Athletics brise l’unité de traitement entre vainqueurs des disciplines, mettant chaque fédération internationale dans une position délicate alors que leurs ressources financières sont très hétérogènes. «Il est clair que d’autres sports vont faire l’objet d’un examen minutieux, voire de pressions de la part d’athlètes qui diront : Qu’en est-il de notre sport, comment se fait-il que ce sport puisse le faire et pas nous ?», relevait mercredi le patron du comité olympique britannique, Andy Anson, auprès de la chaîne Sky Sports. «C’est un débat que nous pouvons avoir, mais nous devons l’avoir au bon moment, au bon endroit et ensemble», a-t-il ajouté.
Aucune fédération internationale n’a annoncé vouloir imiter World Athletics : celle de tennis (ITF) a indiqué que tout plan de ce type devrait être «conçu en consultation avec l’Association des fédérations internationales olympiques d’été et le CIO», et celle de basket (Fiba) a rappelé qu’elle soutenait déjà «ses fédérations membres de diverses manières, pour couvrir leurs coûts d’organisation ou de participation aux compétitions de sélections». Peu d’instances pourraient de toute façon dégager une enveloppe comparable, puisque World Athletics fait partie des mieux dotées par le CIO avec la gymnastique et la natation, en plus de ses ressources propres tirées des droits TV de ses compétitions. Les fédérations internationales d’été sont réparties en cinq groupes et le rugby, le pentathlon moderne et le golf ne touchent que 13 millions de dollars, soit trois fois moins que les sports rois. Pour la plupart d’entre elles, la manne olympique est essentielle à leur survie.