Comédie d’Alexander Payne, 2H13

Clin d’œil: au générique, le copyright indique 1971. Le logo d’Universal date de l’époque. La pellicule gratte. Bienvenue dans les seventies. Alexander Payne joue le jeu à fond. On est donc en 1970. C’est bientôt Noël. Au pensionnat de Barton (Nouvelle-Angleterre), certains élèves ne quitteront pas l’établissement pour les vacances. C’est le cas de Tully. Il devait rejoindre sa mère qui préfère s’offrir au dernier moment un voyage de noces avec son nouveau mari. Dehors, il neige. Le professeur de civilisation antique est chargé de garder le lycée. Tout le monde déteste ce fossile de Hunham. Il est arrogant, démodé. Le voici chargé d’enfiler la tenue de surveillant et d’avoir un œil sur cet adolescent complexe, retors, qu’on sent déchiré de l’intérieur et qui a déjà été renvoyé de trois écoles. Il y a aussi Mary, la cuisinière noire qui porte son chagrin en bandoulière. Ce sont trois âmes en peine. Chacune a un secret. Winter Break évoque les premiers Bob Rafelson. Venus, de Shocking Blue, résonne dans les couloirs. L’académie de Barton (devise : « On dit la vérité ») ressemble étrangement à l’hôtel Overlook de Shining, bureaux déserts, galeries de portraits, garde-manger bourré à craquer. Paul Giamatti, dont c’est la seconde apparition chez Payne après Sideways, envahit l’écran de sa présence à la fois bonhomme et inquiétante. La vie l’a déçu. Il s’est surtout déçu lui-même. Il ne voudrait surtout pas que la même chose arrive à son jeune protégé en pantalon de velours côtelé. Ici, on échange des phrases en latin. On lit La Guerre du Péloponnèse et on assiste à une séance de Little Big Man. Le whisky console de la monotonie des journées. Les émotions se bousculent. Grâce à Payne, le passé n’a jamais été aussi présent. On n’en attendait pas moins du seul Américain qui a été bouleversé par Merlusse, de Pagnol. Le film est spécial, miraculeux, unique. C’est comme si, pour rester vivant, le cinéma devait retourner cinquante ans en arrière. E.N.

Drame de Celine Song, 1H46

Assis au comptoir d’un bar new-yorkais, un trio plongé dans un conciliabule sérieux détonne : une femme (Greta Lee), entourée d’un homme asiatique (Teo Yoo) comme elle, et d’un autre homme caucasien cette fois (John Magaro). Celui-ci laisse surtout les deux autres parler. Qui sont-ils les uns pour les autres ? Amants, amis, collègues ? Cette curiosité qui assaille les autres clients tourmente aussi le spectateur qui ne ressortira pas indemne de Past Lives – Nos vies d’avant, magnifique premier film de la dramaturge canado-coréenne Céline Song. Jusqu’à leurs 12 ans, Nora et Hae Sung ont été des amis d’enfance inséparables dans leur Séoul natal. Le lien se rompt lorsque les parents de Nora s’expatrient au Canada. Douze ans plus tard, Hae Sung est de passage dans la Grosse Pomme, où vit désormais Nora, cinéaste, avec son époux Arthur. Il la contacte. Le duo se revoit régulièrement. Avec ou sans Arthur. De longues balades le long de l’Hudson leur permettent d’évoquer leur enfance, leurs adieux avortés, le déracinement, les occasions manquées. Céline Song s’interroge sur les affinités électives, sur le fait d’être au bon endroit au bon moment, sur la marque que laissent sur nous ceux qui nous aiment et qui disparaissent de nos vies, ce qu’ils emportent de nous avec eux. Le destin a mille façons d’entremêler les fils plus subtils et plus lancinants que le coup de foudre. C.J.

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Aventure de Paul King, 1h57

Si dans votre esprit Willy Wonka reste le confiseur excentrique, un brin sinistre et menaçant tel que le jouait Johnny Depp chez Tim Burton, la comédie musicale Wonka, qui se positionne comme le conte de Noël à voir en famille, va vous désarçonner. Le réalisateur Paul King imagine la jeunesse du chocolatier, le parcours initiatique qui lui a permis d’avoir pignon sur rue et sa rencontre avec les Oompa Loompas, ses futurs ouvriers accros au cacao. Son Wonka a l’enthousiasme juvénile de l’idole de la génération Z et la star de Dune Timothée Chalamet. Un jeune homme déterminé, mais pas encore farfelu, tout juste revenu sur la terre ferme après sept ans en mer. Inventeur hors pair de bonbons aux propriétés fantastiques (qui font léviter ou changent la couleur des cheveux), Willy veut tenir la promesse faite à sa mère, décédée, d’ouvrir boutique. Mais il se heurte à l’opposition du cartel du chocolat et à la malhonnêteté de sa logeuse, Mme Scrubbit. La thénardière locale (Olivia Colman), entend le réduire en servitude. Pour vaincre ces obstacles, Wonka va s’allier avec les autres captifs de la pension de famille. Comédie musicale vintage à l’atmosphère surannée, Wonka démontre que Timothée Chalamet sait parfaitement danser et chanter, même avec un petit filet de voix. Les montagnes de bonbons et les fontaines de chocolat raviront les plus petits. Ce régime hyperglycémique à base d’effets spéciaux gentillets impressionnera sûrement moins les adultes. C.J.

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Drame de David Wagner, 1h27

Il hurle. Il ne sait faire que cela. Le sergent-major Charles Eismayer, traits crispés, voix éraillée, continue d’instruire les soldats autrichiens comme on le faisait des décennies plus tôt. Son supérieur, un capitaine plutôt moderne, voudrait bien enrayer sa violence. Mais c’est une jeune recrue, Mario, qui y parviendra. Les cris du major n’effraient pas ce garçon audacieux, insolent et homosexuel, qui lui tient tête. Peut-être le jeune homme devine-t-il déjà ce que cette sévérité cache depuis des années chez Eismayer. Le soldat et l’officier se rapprochent. Mario fait feu. Ils finissent par s’aimer. Une relation rude, silencieuse, faite d’ambiguïtés, que le réalisateur David Wagner met en scène habilement. Et avec un peu trop de réalisme quand il s’agit de montrer leurs ébats. On aurait préféré en savoir davantage sur les difficultés qui surgissent entre le major et son épouse, victime collatérale de ce singulier amour de caserne. B.P.

Aventure de Martin Bourboulon, 1h55

Les plus fervents dumassiens le reconnaissent volontiers. On ne tourne jamais Les Trois Mousquetaires, on tourne un scénario qui s’inspire du roman et de ses précédentes adaptations. Et c’est très bien ainsi, pourvu qu’il y ait l’esprit, à défaut de la lettre. Le roman est trop touffu et tortueux pour se contenter de transposer telle quelle l’intrigue à l’écran. Surtout dans sa seconde partie, que nombre de cinéastes abrègent ou escamotent. Martin Bourboulon reprend la même césure. Après D’Artagnan, le deuxième volet s’intitule Milady. Il est de trop. Louis Garrel, Louis XIII, fat et savoureux, fait de la figuration. L’esprit de sérieux domine. D’Artagnan est à la recherche de Constance. Milady tente à plusieurs reprises de coucher avec lui ou de le tuer – Eva Green surjoue la vamp vénéneuse. Athos se morfond, moins tourmenté que blasé. Aramis s’inquiète pour l’honneur de sa sœur, religieuse amoureuse d’un soldat. Porthos ne sait pas vraiment quel rôle jouer dans cette histoire, sinon celui du bon copain. Le capitaine de Tréville fronce toujours les sourcils. Le scénario les éparpille, lance plusieurs pistes qu’il ne parvient pas à faire converger autour du siège de La Rochelle. Richelieu, Gaston d’Orléans (le frère de Louis XIII, félon fielleux) et les protestants aimeraient donner une dimension politique au divertissement. Ils ne font que rendre un peu plus alambiquée une intrigue déjà confuse. Les péripéties se succèdent sans le souffle de l’aventure. La fin ouverte de Milady laisse le champ libre à un troisième volet. De quoi nourrir certaines craintes. E.S.

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