Article paru en décembre 2023.
Avant de s’enfoncer sous terre dans les studios d’enregistrement d’Universal Music, près du Panthéon, mieux vaut connaître le chemin. «Rares sont les personnes qui descendent jusqu’ici», glisse l’ingénieur son Jérémy Benarroch. Dans ce labyrinthe au-dessus des catacombes, la voix rocailleuse de Charles Aznavour qu’on entend chanter au loin, sert de guide. Un «attrape-rêve» chamanique oscille au-dessus d’une console, d’une batterie d’ordinateurs et d’écrans géants. C’est ici que se prépare un coffret de 100 CD auquel aucun autre artiste de variété pas même Franck Sinatra, n’ont jamais eu droit.
Pour le centenaire de sa naissance, le 22 mai, Charles Aznavour est célébré avec ce coffret contenant tous ses titres, dans toutes les langues. Avec un prix d’environ 300 euros, il sera vendu dans le monde entier. «J’ai accompli ce travail par passion pour l’œuvre de Charles Aznavour et par amitié pour l’homme», raconte Bruno Haye, responsable durant dix ans du catalogue Aznavour au label Panthéon. Pour l’occasion, ce passionné est sorti de sa retraite. «Je l’aimais beaucoup. Quand il est arrivé en 2013 chez Universal Music avec 1680 masters (les enregistrements originaux à partir desquels sont pressés les CD, ndlr), j’allais le voir presque chaque été dans sa propriété à Mouriès près d’Arles pour travailler avec lui. La chaleur était épouvantable et je suis plutôt un garçon du nord. Il était attentionné. Il me disait de me mettre tout de suite en short et en tongs.» Et d’enchaîner : «avec certains artistes, il faut y aller doucement. Avec Charles, on pouvait lui proposer des choses, il était ouvert.» Gérard Davoust, l’éditeur de Charles Aznavour et son plus vieil ami en est tout ému : «sans la passion de Bruno Haye, ce travail de titan n’aurait jamais été accompli. Charles a 1800 titres, son œuvre est gigantesque. C’est extraordinaire de s’être attelé à la retrouver dans sa totalité.»
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Le plus difficile a été de recenser les enregistrements dans le monde entier. «Il était un vrai tapis volant, un coup à Osaka, un autre à Sofia. Chaque pays avait ses titres préférés, rarement les mêmes», note Bruno Haye. Les retrouver a été un vrai travail de détective tant ce globe-trotter a chanté dans un nombre incalculable de pays et de langues. «Nous sommes vraiment partis de rien. Avec l’aide d’archivistes incollables comme Ayk Potukyan et des experts en son, nous sommes allés à la chasse aux singles. Dans un premier temps, nous avons reconstitué la discographie avec les vinyles des années 1960. Cela nous a pris un an, raconte Bruno Haye. Une fois que nous avions trouvé la chanson sur vinyle, il a fallu chercher dans nos archives numériques, le master original correspondant. Une fois que nous étions sûrs d’avoir déniché la bonne version (il y a parfois six prises de son différentes pour une chanson), nous avons pu consolider la discographie originale.» En l’absence de master, «nous avons été obligés de numériser le vinyle vintage», précise-t-il.
En cette fin novembre, nos experts sont concentrés sur une centaine de corrections sonores. «Les bandes originales de 1960 et 1980 qui contiennent tous les tubes ont été beaucoup utilisées. Nous avons fait un gros travail de restauration du son car les mixages dans les années 1980 ont une esthétique sonore plus du tout actuelle. Nous avons repris les bandes originales pour avoir la source la plus neutre possible et les avons renumérisées avec la technologie actuelle. Pour le son, c’est le jour et la nuit. Sur certains disques, vous entendez des sifflantes et des sibilantes. Les consonnes accrochent. Le sifflement est amplifié par le micro et pour les puristes, c’est peu agréable. Tout cela est désormais corrigé ! »
Notre duo a aussi retravaillé tous les live qui à l’époque avaient quatre faces de vingt minutes. «Nous avions beaucoup plus de contenus sur les bandes. Sur certains live, nous avons retrouvé deux à quatre versions inédites.»
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Enfin, il a fallu vérifier «que les 1800 titres de Charles Aznavour sont dans le bon ordre sur les cent masters que nous enverrons à l’usine pour presser les cent CD. » La nuit est tombée. Bruno Haye file à la gare. Chez lui dans le Perche, il se lèvera de nouveau à l’aube pour rédiger avec méticulosité les crédits de chaque titre. Un travail de titan. «Mon ordinateur contient un tableau Excel de 120.000 cases», montre-t-il en tournant son écran.
Au cinquième étage du siège d’Universal Music, dans le couloir du label Panthéon, son successeur Xavier Chevalier se concentre sur la visibilité de Charles Aznavour sur les réseaux sociaux. «Cinq ans après sa disparition en 2018, la chaîne YouTube de Charles Aznavour a déjà 336.000 abonnés, se félicite-t-il. Comme il n’a jamais enregistré de clips, nous recréons des vidéos sur différents thèmes et univers. » Universal Music a aussi lancé une chaîne Instagram et confié la page Facebook officielle à son consultant Ayk Potukyan. «Une chaîne Tik Tok est en préparation avec des formats courts de 30 à 50 secondes. Elle devra être validée par Nicolas Aznavour qui représente la famille, explique Xavier Chevalier. Pour créer du contenu, nous travaillons par exemple avec l’École des Gobelins. Les étudiants ont écrit un scénario sur La Mamma et vont le clipper à Naples. Ils sont très honorés de travailler pour la mémoire de Charles Aznavour.»
Pour les fêtes de fin d’année, Xavier Chavelier sort trois CD. Le fameux coffret de 100 CD doit être prêt pour mi-janvier en vue d’un lancement mondial en mai. Si possible en harmonie avec la possible projection à Cannes du biopic Monsieur Aznavour de Grand Corps Malade et de Mehdi Idir avec Tahar Rahim en tête d’affiche. Dans la foulée, Xavier Chevalier prépare un projet de 100 duos sur CD avec des raretés comme un avec Gérard Darmon. Autre idée : un CD 100 hits en studio et en live. Un best-of en trois vinyles avec une création visuelle faite par un grand nom du street art. «Je voudrais aussi rééditer pour fêter ses 60 ans, l’album Que c’est triste Venise en vinyle et en Dolby Atmos. C’est un album majeur avec des titres comme Hier Encore, explique ce chef de projet. Nous ne sommes qu’au début.»