Au moment où l’encadrement des conditions de tournage, des scènes d’intimité et des acteurs mineurs est devenu une priorité dans une industrie contrainte de se remettre en question, la réalisatrice Jessica Palud emmène le spectateur au début des années 1970, quand les réalisateurs étaient tout-puissants et le consentement des actrices absolument pas un sujet.
Fille illégitime d’un acteur alors célèbre, la jeune Maria rêve de cinéma. Elle est alors choisie pour jouer à 19 ans sous la direction de Bernardo Bertolucci, aux côtés de Marlon Brando, l’acteur d’Un tramway nommé désir. Le sujet du film : la passion torride entre un veuf américain de passage à Paris et une jeune femme. Ils décident de ne rien savoir de l’autre, ignorant jusqu’à leurs prénoms.
Dernier tango à Paris , huis clos cru et morbide, atteint son paroxysme dans une scène de sodomie non consentie, avec une tablette de beurre en guise de lubrifiant. Cette scène de viol, qui a valu au film classé X les foudres du Vatican, est entrée dans l’histoire du cinéma avant de devenir un symbole des violences sexuelles dans le 7e art.
Bien que simulée, la scène fut imposée à l’actrice sans qu’elle n’en sache rien et la brisera comme le raconte sa cousine, la journaliste Vanessa Schneider dans Tu t’appelais Maria Schneider (2018), livre dont s’est inspirée Jessica Palud pour son film. Fragile, l’actrice à la surexposition malsaine tombera ensuite dans la drogue. Sa carrière sera souvent réduite au Tango et à cette scène. Outre les conditions de ce tournage inimaginable aujourd’hui, ce que le film de Jessica Palud montre combien les actrices, ici Maria Schneider, ne sont pas écoutées.
Frondeuse, elle n’hésitera pas à parler de double viol, de la part de Brando et du réalisateur. Elle confirmera que les larmes que l’on voit à l’écran sont les siennes et non celles de son personnage. Des propos qui ne choquent personne, pas plus que ceux de Bertolucci, affirmant pour ambition que son actrice transparaisse «la rage et l’humiliation.»
«À tous ceux qui ont aimé le film, vous êtes en train de regarder une jeune fille de 19 ans en train d’être violée par un homme de 48 ans. Le réalisateur a planifié l’agression. Ça me rend malade», réagissait sur X l’actrice Jessica Chastain fin 2016, alors que Bertolucci était revenu sur les conditions du tournage. Pour jouer cette histoire faisant cruellement penser aux dénonciations de Judith Godrèche en France, la réalisatrice a enrôlé Anamaria Vartolomei, découverte dans L’événement, film sur l’avortement et Lion d’or à Venise en 2021. Confirmant ainsi sa capacité à jouer des femmes se débattant contre ce que la société leur impose, ou leur interdit.
«Les producteurs sont des hommes, les techniciens sont des hommes, les metteurs en scène sont pour la plupart des hommes (…) les agents sont des hommes et j’ai l’impression qu’ils ont des sujets pour les hommes», disait Maria Schneider dans le documentaire Sois belle et tais toi, de Delphine Seyrig, tourné en 1976. L’actrice, décédée en 2011, déplorait au passage de se voir uniquement proposer «des rôles de folle, de lesbienne, meurtrière», et espérait tourner avec des «partenaires hommes qui soient de (s)on âge».
«Même Jack Nicholson (son partenaire dans »Profession reporter« de Michelangelo Antonioni, 1975) c’est mieux que Brando, mais c’est pas ça, il a 40 ans presque.» Un constat qu’elle faisait, lasse, à 23 ans. Maria sortira le 19 juin dans les salles françaises.