Bienvenue dans les domus de Pompéi. Prenez table, prenez-vous pour un personnage du Satyricon de Pétrone. Sans le moindre touriste pour vous gêner, admirez, des sols aux murs, la fraîcheur de ces rouges, de ces jaunes, des verts et des bleus. Et plus encore le mythe d’Ariane, celui de Vénus, Diane et Actéon, la jeune fille Europe enlevée par Zeus transformé en taureau, le supplice de Circé… Dans de lumineux péristyles, déambulez autour d’un bassin ou d’une fontaine, parmi les élégantes colonnes ou de vénérables autels destinés au culte des ancêtres. Durant le confinement, Luigi Spina a photographié, seul, l’intérieur des ruines de ces villas antiques. Quelque 57 demeures jadis occupées par les classes moyenne et supérieure.

Grâce à son appareil Hasselblad H6D-100c qui permet une capture unique des couleurs, il révèle au maximum, malgré le caractère parfois fragmentaire des vestiges (armoires, sièges, braseros), le quotidien comme le faste de la cité romaine avant sa dévastation en quelques secondes par l’éruption volcanique du Vésuve en 79 ap. J.-C. Chacune de ses prises de vue, du fait de la lumière naturelle changeante, a nécessité entre quatre et huit heures. Résultat : le temps ne semble guère avoir passé sur ces peintures et sculptures, mosaïques et incrustations de marbre.

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Lignes et perspectives des architectures se trouvent rendues avec un soin archéologique, un sérieux qui tient compte des données historiques, des sciences sociales et politiques. Rien ne semble avoir échappé en somme à cet œil qui a produit sur place quelque 1 450 clichés. Du drame de Pompéi, Goethe a fort justement dit : « Il est arrivé bien des malheurs dans le monde, mais peu qui aient procuré autant de plaisir à la postérité. » Et, de fait, cet ouvrage procure un grand bonheur de lecture. Préface de Gabriel Zuchtriegel, le directeur de la cité antique.

Ici un triton affolé se carapate devant le bec de la grande aigrette, là un macareux niche sous l’œil attendri de sa moitié, ici un couple de guillemots veille son petit au corps encore duveteux, là une malheureuse araignée descend de son fil sous l’œil rond du passereau. Les dessins d’Audubon publiés il y a deux cents ans ravissent toujours par leur beauté et leur vivacité. Qu’importe que cette vision ait parfois été qualifiée d’artificielle, Le Grand Livre des oiseaux d’Amérique reste un monument de l’histoire de l’ornithologie, composé année après année par un homme qui aima courir les bois, les marais, les rivages et les montagnes d’Amérique pour mieux en capturer la beauté sauvage et foisonnante.

Né d’un père français en 1875 à Saint-Domingue, grandi en Bretagne où il se prit de passion pour les oiseaux, Jean-Jacques Audubon fila aux États-Unis pour échapper à la conscription napoléonienne. Il trouva là-bas territoire à sa mesure et surtout des populations d’oiseaux qui n’avaient pas encore été décimées comme sur le Vieux Continent. Cela ne l’empêcha pas d’être un véritable fanatique de la gâchette (il se repentit sur le tard). Il dessinait d’après nature des spécimens qu’il avait tués ou qu’on lui envoyait, soucieux de la plus grande véracité dans leur description.

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Ses remarques croquignolettes sur le « bon goût » de la chouette barrée ou cette astuce qui consiste à immortaliser le flamant se tordant le cou pour pouvoir le rentrer sur sa feuille (il dessinait à taille réelle) font peut-être aujourd’hui jaser les puristes et grincheux de tout poil, mais il reste bien « le roi des peintres ornithologues » comme l’avait baptisé le grand Cuvier.

On croit avoir tout vu et tout lu sur la grande Catherine. Il était une fois Deneuve prouve qu’il n’en est rien. Plus qu’une simple compilation des articles du magazine Sofilm, mieux qu’un beau livre avec images sur papier glacé, l’ouvrage richement illustré déshabille l’icône du cinéma français avec une multitude d’angles, certains attendus (la haute couture, Jacques Demy) et d’autres, originaux. La mère de famille, la féministe controversée, la partenaire de Gérard Depardieu (chapitre à lire avant sa suppression dans la prochaine édition ?), la flambeuse, la scandaleuse, mais aussi les rencontres ratées avec Godard, Sautet, Hitchcock et Eastwood…

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Deneuve sous toutes les facettes, racontée par les autres (Pierre Salvadori, Régis Wargnier, Hirokazu Kore-eda, Gilles Jacob) et par elle-même. Dans un long entretien, elle confie : « Marco Ferreri gueulait tout le temps. Il gueulait et il devenait méchant. Moi, ça m’impressionnait énormément. Par exemple, quelqu’un avec qui j’aurais adoré travailler, mais dont on me disait les pires choses, c’est Maurice Pialat. On a eu un projet ensemble qui ne s’est jamais réalisé. » Deneuve-Pialat, un beau fantasme de cinéphile.

Descendre sous terre pour admirer les mammouths, les pingouins géants ou les mystérieux signes géométriques dessinés et gravés il y a plus de dix mille ans par nos ancêtres est devenu un must. La France possède 200 des 400 grottes ornées d’Europe dont les trois stars, Lascaux, Cosquer et Chauvet. À ces chefs-d’œuvre artistiques, il faut ajouter Font-de-Gaume, Pech Merle, Arcy-sur-Cure, Isturitz, Niaux…

C’est cet ensemble de sites remarquables que nous fait découvrir le journaliste scientifique Pedro Lima, passionné d’art pariétal, auteur de nombreux ouvrages de qualité. Avec ses infographies, ses belles photos couleurs sur fond noir, ce beau livre pour toute la famille se prolonge avec un QR Code pour programmer facilement les visites.

Des dizaines d’images et plus de 250 pages, soit 1,9 kg, pour raconter six décennies de rock « made in France », et prouver que John Lennon avait tort quand il le comparaît au vin anglais. Sous la houlette de Didier Varrod, sémillant directeur de la musique à Radio France, Patrice Bardot et Alexis Bernier, animateurs de la revue Tsugi, quelques-unes des plus belles plumes de la critique musicale d’ici se sont unies pour revenir sur une épopée bien française.

L’histoire commence place de la Nation le 22 juin 1963, avec le rassemblement organisé par la revue Salut les copains, et n’est toujours pas terminée à l’heure qu’il est. D’Eddy Mitchell à Gojira, de Bashung à Didier Wampas, les figures hautes en couleurs côtoient une revue des salles emblématiques, des villes phares et des mouvements qui ont secoué le pays de Mireille Mathieu et Dalida.

« À quoi bon voir les mains d’un pianiste ? » C’est par cette question qui lui fut posée par Sviatoslav Richter que Bruno Monsaingeon choisit d’ouvrir, non sans ironie, le beau livre d’entretiens tout juste paru aux Éditions de la Philharmonie de Paris. Une interrogation que l’on pourrait lui retourner : pourquoi, après une vie derrière la caméra, une œuvre cinématographique de 100 opus consacrés à la musique classique (le dernier en date dédié au chef prodige de l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä, est en cours de montage), coucher sur papier 50 ans de souvenirs au contact des plus grands génies musicaux du siècle passé ? Tout simplement pour le témoignage inestimable et l’inspiration qu’apportent ces confessions d’un confesseur !

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Au fil de ses récits, portés par une érudition musicale bluffante, on suit le parcours de cet ancien violoniste, du modeste foyer d’étudiants de Moscou où il découvre Glenn Gould jusqu’aux hauteurs de Castel Gandolfo où il filme Yehudi Menuhin et Jean-Paul II. On feuillette surtout ces 300 pages comme on visionnerait des milliers d’heures de rushs sur Menuhin, Gould, Oïstrakh, Varaday mais aussi Piotr Anderszewski, Valeriy Sokolov ou David Fray. Simple livre d’entretiens ? Plutôt un beau guide vers l’imaginaire des plus grands interprètes de notre temps !

Filmer la musique, Philharmonie Éditions, 336 pages, 28€.

En 1960, Zao Wou-ki est choisi avec d’autres artistes pour représenter la France à la 30e Biennale de Venise. Ce lettré qui regarde d’abord la peinture française depuis la Chine, est né à Pékin en 1920, s’est formé à l’école des beaux-arts de Hangzhou en 1935, arrive en France en 1948, à Marseille, puis à Paris, s’installe à Montparnasse, dans un atelier voisin de celui de Giacometti. Ses amis s’appellent alors Jean-Paul Riopelle, Nicolas de Staël, Sam Francis, Pierre Soulages, Maria Helena Vieira da Silva, Hans Hartung.

À la Biennale de Venise de 1960, il expose notamment une toile qu’il vient d’achever, 08.01.60, « un type de composition axiale audacieuse, avec ses coups de brosse tourbillonnant dans toutes les directions, qui va devenir une composante du style de Zao Wou-ki au cours de la décennie qui commence », analyse Ankeney Weitz , professeur d’art spécialisée dans les études sur l’Asie de l’Est au Colby College du Kansas. Ce dynamisme pictural lui a été inspiré par un voyage au Japon et à Hongkong en 1958 « où il a identifié clairement sa dette envers les traditions artistiques est-asiatiques, à théoriser une distinction entre abstraction européenne et le geste calligraphique oriental ». Soit, à trouver sa voie.

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Ce Catalogue raisonné des peintures (volume II) est donc clé pour comprendre Zao Wou-ki, mort à 93 ans en 2013 à Nyon, en Suisse. Orchestré par son épouse Françoise Marquet-Zao et Yann Hendgen, cette somme laisse parler les spécialistes (Erik Verhagen qui fut co-commissaire de « Zao Wou-ki, l’espace est silence » au Musée d’art moderne de Paris à l’hiver 2018-2019) et les amateurs, comme Dominique de Villepin. Un voyage au cœur de la peinture.

La Nouvelle Vague, toc toc badaboum, le goût des cascades et des yorkshires, il y a tout. L’excellent Laurent Delmas, de France Inter, a mis noir sur blanc son feuilleton radiophonique « La Bébel époque ». Quel bonheur ! Des dialogues de film ponctuent les chapitres. Il y a des interviews. Jean-Paul Rappeneau revoit l’acteur rue de l’Échaudé en prince de Saint-Germain-des-Prés, avec sa dégaine unique, sa décontraction, sa voix qu’il appelait « mon clairon ». Philippe Labro rappelle une colère épique (et feinte) sur un tournage et cite la fameuse réplique de L’Alpagueur : « À la tienne, coco ! »

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Feuilleter cet album équivaut à retrouver un certain art de vivre et de jouer. Vive Bob Saint-Clar et le second degré ! Il n’est pas étonnant que Tarantino adore ce Français pour lequel il a inventé le terme « belmondisme ». C’est l’itinéraire d’un enfant gâté par ses dons qui est passé de la rive gauche aux Champs-Élysées. « Boxe, rire et enfance », ainsi Rappeneau résume-t-il cette carrière. Le mot de la fin revient à l’auteur : « L’homme de brio. » Il fallait le trouver. Hygiénique et indispensable.

Une couverture satin fermée par les agrafes de nacre et frappée de caractères en relief : l’écrin de 42 × 32 cm, est raffiné, à la hauteur des plus belles pages de la peinture chinoise classique imprimées en majesté et reliées par des coutures chinoises. Sur la page de droite, l’image qui se déplie en panoramique sur 64 cm ou 128 cm, belle façon de rendre la mesure de ces rouleaux à l’origine en soie. Sur la page de gauche, la notice. Passent les dames du temps jadis se promenant au clair de lune, des dragons jaillissent de bouffées d’encre et des lotus, de l’eau, des oiseaux pris dans les feuilles enroulées du pêcher picorent les fruits mûrs, les fêtes de cour se déploient le long des fleuves, la neige tombe sur la maison d’un peintre, Kubilai Khan va à la chasse…

La Chine ancienne revit en couleurs adoucies par le fond sépia de la soie. L’espace de la page est une leçon de vide et de plein dans laquelle la vie entre par effraction, juste l’instant de la peinture, mais dans tous ses détails. De l’époque des Trois Royaumes (220-589) à l’époque Quing qui s’achève en 1911, les styles et les sujets varient, et on pourra les distinguer, mais l’enchantement perdure.

Peintures chinoises, Citadelles et Mazenod, 272 pages, 179€.