Biopic d’Henrik Martin Dahlsbakken, 1h45

Munch d’Henrik Martin Dahlsbakken est la première adaptation en fiction sur grand écran de la vie d’Edvard Munch, en salle mercredi 20 décembre. Il s’en dégage un mélange d’introspection et de grand air au bord du fjord d’Oslo, de sentiments intenses, réprimés par les échecs de la vie et les désillusions, qui évoquent une maison fermée en hiver, et de tableaux extraordinaires qui vont en toute liberté du symbolisme vers la couleur de l’expressionnisme et qui annoncent le printemps et le renouveau. Munch, sa vie plutôt que son œuvre. Ou plutôt le mystère originel de son œuvre si singulière qui ne cesse de surprendre par son audace, sa lucidité aux rayons X et sa fraîcheur de printemps nordique. Le résultat est mélange des genres, dans tous les sens du terme. Seule demeure la nature, source de joie aux pires heures. V.D

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Documentaire de Frederick Wiseman, 4h

À l’heure où les chefs sont des vedettes auxquelles Netflix consacre des documentaires aux ressorts plutôt grossiers, dignes de séries à suspense, c’est l’inverse que propose l’Américain Frederick Wiseman. Fidèle à son style épuré – absence de voix off, de musique et d’interview -, le prolifique documentariste s’intéresse à une institution: la famille Troisgros, installée dans la Loire depuis plus de quatre-vingt-dix ans. Depuis l’an dernier, le petit-fils, César, a officiellement repris le flambeau même si la figure paternelle n’est jamais loin, que ce soit en cuisine pour distiller ses conseils, goûter les plats et parfois même mettre la main à la pâte, ou en visite chez des producteurs de fromages ou de vins. C’est cette relation sous le signe de la transmission, de connaissances comme de pouvoir, que le film dévoile avec pudeur. César semble parfois agacé mais s’efface de bon gré devant son aîné. Jusqu’à cette scène, dans le dernier quart d’heure, où Michel se confie à un client vigneron sur sa difficulté à rendre définitivement le tablier. En filigrane s’illustrent aussi plusieurs problématiques révélatrices de l’époque: les intolérances (réelles ou présumées) toujours plus nombreuses de la clientèle avec lesquelles la cuisine doit composer, les circuits courts ou la relation directe entre les chefs et des producteurs soucieux de durabilité, le harcèlement des personnels (évoqué lors d’un briefing des équipes de salle). Seul bémol, la durée du film: quatre heures – ce qui risque de le limiter à un public de gastronomes alors qu’il y a là un petit théâtre à la portée universelle. A.B.

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Drame de Felipe Galvez Haberle, 1h37

La terreur ne dit pas son nom. On parle de civilisation. Il s’agit de génocide. Dans le Chili de 1901, un riche propriétaire charge trois hommes d’ouvrir une voie jusqu’à l’océan. Pour cela, tous les moyens seront bons. Qu’ils n’hésitent pas à se débarrasser des autochtones récalcitrants. Il y a là un capitaine écossais, un mercenaire texan et un jeune métis. Le premier exécute à tout-va, le deuxième n’a pas de scrupules, le troisième se tait. Il regarde. Il ne sera peut-être pas le plus innocent de la bande. Les Colons est bâti en chapitres, avec des intertitres à la Godard. On y respire le grand air de l’épopée. Le réalisateur débarque en fanfare avec ce western sauvage, brûlant, d’une vibrante poésie, libre et foutraque. Cette fresque tonitruante et colorée s’attarde parfois sur l’œil d’un cheval en gros plan, suit un vol de mouettes au-dessus d’une plage de galets. L’ensemble pourrait être arty, horripilant, démodé. C’est le contraire qui se produit. Brutal, rugueux, ce récit multiple happe le spectateur dans un shaker de sensations, l’entraîne sur la cordillère des Andes à la frontière du Chili. Les visages des uns et des autres trahissent une immense solitude. Les meurtres se commettent dans la brume, comme chez Shakespeare. La folie se pare des atours de la modernité. L’écran est rempli d’images et de sons à craquer, avec quelque chose de mythologique. L’argent a une odeur. Les pesos sentent le crime. Ce sont des vérités qui ne sont pas toujours bonnes à dire. En 2023, l’immense domaine existe toujours. Il appartient à la même famille. Du côté de Punta Arenas, le silence est d’or. É.N.

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Documentaire d’Oury Milshtein, 1h19

Le film s’ouvre au cimetière du Père-Lachaise, sur la tombe de son psychanalyste où Oury Milshtein s’arrête régulièrement pour lui livrer ses confessions. « Ça continue à me faire du bien et ça ne me coûte pas cher. » Dès les premières minutes, dans ce tête-à-tête avec un mort, le ton est donné, entre l’introspection intime et une joyeuse bravade contre la fatalité portée par un humour juif à la Woody Allen. Objet complètement hybride, ce documentaire nous plonge dans l’histoire personnelle du réalisateur à travers des images d’archives familiales exhumées et remontées façon puzzle en un film très émouvant, comme une thérapie face caméra marquée par la maladie et la disparition, à 14 ans, de Léah, sa fille. C’est aussi la chronique pleine de tendresse d’un patriarche à la tête d’une tribu recomposée (deux ex-femmes et quatre enfants) sur la transmission et les liens entretenus avec les vivants comme avec les absents. Les films de famille n’intéressent en général que ceux qui y figurent. Et pourtant, Oury Milshtein, en nous ouvrant les portes de la sienne, réussit à nous prouver le contraire grâce à une sincérité sans artifices, une grande élégance et un sens marqué de l’autodérision. En livrant sa propre histoire, il touche à quelque chose de plus universel qui fait mouche et bouleverse. V.B.

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Documentaire de Luc Jacquet, 1h22

Il est des films qui ont la saveur d’un livre. Où les mots sont si forts qu’ils pourraient se passer des images. Sauf qu’ici, ils en accentuent la beauté. Voyage au pôle Sud, de Luc Jacquet, est un long-métrage très personnel que le réalisateur raconte avec ses mots et sa voix et dans lequel il se met en scène. Trente ans exactement après avoir posé le pied pour la première fois en Antarctique, celui qui a connu un immense succès et remporté l’Oscar du meilleur documentaire en 2006 avec La Marche de l’empereur y revient pour tenter d’expliquer son addiction pour le continent magnétique. Dans ce récit intérieur, il ne pose pas tout de suite sa caméra au pôle Sud, mais nous fait partager le long chemin qui y mène. Depuis la Terre de Feu et le cap Horn, il montre ainsi qu’atteindre cette terre hostile demande une forte dose de volonté et beaucoup d’abnégation. Promenant sa silhouette dans le parc Torres del Paine, au Chili, il en profite pour alerter sur les ravages du réchauffement climatique. Frappés par les incendies, les troncs calcinés, tels des fantômes statufiés, témoignent de cette dure réalité. Pourtant une fascinante poésie enrobe l’ensemble. Luc Jacquet suit ses envies plus qu’un scénario bien établi. Pas d’érudition ni de grands discours dans cette heure vingt en terra incognita, mais le propos d’un homme qui réussit à faire partager sa passion et ses réflexions sur la situation de la planète. F.V.

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Comédie dramatique de Taika Waititi, 1h45

Un bon Néo-Zélandais, Taika Waititi n’y connaît pas grand-chose en ballon rond. Mais il s’y connaît un peu en comédie (Thor et Jojo Rabbit, Oscar du meilleur scénario adapté en 2020). Et la culture des Samoa américaines, petites îles du Pacifique, ne lui est pas inconnue. Cela fait de lui le réalisateur idéal pour mettre en scène Une équipe de rêve. Une « histoire de rêve » pour tout producteur en quête de « feel good movie » (film qui fait se sentir bien), que seule la réalité ose inventer. En 2001, l’équipe de football des Samoa américaines a bien subi la pire défaite de l’histoire de la Coupe du monde, battue 31 à 0 par l’Australie – Waititi repasse les buts en accéléré. Et, à l’approche du Mondial 2014, les Samoan ont bien recruté un entraîneur étranger pour tenter de remonter au classement mondial – ils sont alors bons derniers. Réaliste, le président de la Fédération samoane, qui est aussi cadreur pour la télévision locale, patron de restaurant, et père d’un joueur qui rate tous ses tacles glissés, ne leur demande qu’une chose : marquer un but, un seul, pour retrouver une dignité. Waititi n’est pas maladroit pour chorégraphier un sport très difficile à mettre en scène au cinéma. Mais c’est son humour et son sens du contrepied qui rendent plaisante cette belle histoire en crampons. Après la série Ted Lasso, Une équipe de rêve confirme que football et comédie peuvent jouer collectif. É.S.

Drame de Wong Kar-wai, 56 minutes.

Quatre films de Wong Kar-wai ressortent en salle : Chungking Express, Happy Together, Les Anges déchus et le rare The Hand, moyen-métrage de 2004 tourné après In the Mood for Love. À Hongkong dans les années 1960, la fascination d’un tailleur pour l’une de ses clientes (Gong Li, sublime). Ralentis, violons et érotisme, la quintessence du style. É. S.

Comédie d’Erwan Le Duc, 1 h 31.

Présenté en clôture de la Semaine de la critique au Festival de Cannes, le second film d’Erwan le Duc séduit par le même ton loufoque que son premier (Perdrix). Il est aussi plus émouvant dans sa façon de peindre la relation entre un père papa poule (Nahuel Perez Biscayart) et sa fille prête à quitter le nid (Céleste Brunnquell). L’absence de véritable enjeu finit malgré tout par dissiper le charme de cette chronique familiale. É.S.