C’est l’histoire compliquée de Skander, dix ans, qui part vivre en famille d’accueil chez la redoutable Madame Khadija, à Courseine, en banlieue parisienne. Placé à l’Aide sociale à l’enfance dès son plus jeune âge, c’est pourtant un garçon curieux de tout, et passionné par la lecture. Au collège, il aime la compagnie des jeunes du «Grand Quartier», qui «abolissent sa boussole morale». Comme de nombreux gamins livrés à eux-mêmes, la rue devient son royaume, et l’éloigne chaque jour davantage de ses rêves d’enfant : devenir avocat d’affaires… En plein échec scolaire, il grandit dans la rue, avec ses règles, ses petits trafics et ses violences. C’est la trame des Conditions idéales, premier roman de Mokhtar Amoudi, publié fin août chez Gallimard, lors de cette rentrée littéraire. Le livre a été très remarqué dès sa parution. Les jurys du Goncourt et du Renaudot l’ont placé dans leurs sélections.
L’auteur, né en 1988, a déjà reçu le Prix Envoyé par la Poste 2023, sans compter de belles critiques. Au livre s’ajoute une légende que Mokhtar Amoudi nous a racontée : il était dans un café avec deux de ses amis et il parlait de son manuscrit avec sa verve habituelle (il faut l’entendre, c’est un bon client). À quelques mètres de sa table se trouvait l’éditrice Karina Hocine, secrétaire général Editeur de Gallimard, qui entend tout. Elle flaire la belle histoire, donne sa carte de visite à Mokhtar Amoudi et lui propose de lui envoyer son manuscrit quand il sera abouti. Un peu plus d’une année après, Amoudi expédie Les Conditions idéales chez Gallimard. On connaît la suite.
Ce jeudi 14 décembre, il vient de recevoir le Prix Goncourt des détenus. Une sacrée reconnaissance.
Sans doute, les jurés sont-ils tombés sous le charme d’une écriture qui embarque son lecteur. Juste un extrait : «En quelques trimestres j’avais tourné casaque. Les Français m’évitaient, avertis par leurs parents des risques de mauvaise influence qu’ils couraient à me fréquenter. Pire, mes bulletins scolaires, ombre bien obscure, me qualifiaient de décadent et d’insolent. Devenu inapte à représenter ma classe, je laissai les professeurs m’achever lors du dernier conseil de l’année. On comparait mon apogée scolaire à la Renaissance ; un bon souvenir qui ne reviendrait jamais. » Ces paroles dessinent le portrait du petit Skander, trop mature pour son âge. Il faut aussi voir sa mère : un personnage complètement déséquilibré, peu recommandable. Très tôt, Skander affirme : «J’aime pas vivre, j’ai voulu casser ma tête. C’était là ma première émotion non scolaire. Je m’étais persuadé ; j’étais mauvais et inutile à tous puisqu’en temps de paix, on n’abandonne pas son enfant. On m’avait maudit à la naissance.»
Et puisqu’il est question de Goncourt des détenus, le roman fait souvent référence à la prison. Juste un exemple : «C’était donc ça Fleury, une prison. Avec un nom aussi joli, j’imaginais plutôt une ville au bord de mer, en Normandie par exemple. Plutôt que Fleury, ils auraient dû l’appeler Prison, Prison-la-ville. Au moins on serait fixé.»
Il y a au moins deux raisons essentielles pour lesquelles Les Conditions idéales ont été remarquées : son style – Amoudi possède une jolie plume – , et le ton, cette façon légère, souvent drôle, parfois émouvante, de parler de choses profondes pour ne pas dire dramatiques. Bien sûr, on songe à La Vie devant soi, mais pas la peine d’encombre l’auteur avec de telles références, il faut laisser Mokhtar Amoudi poursuivre tranquillement son œuvre. Elle démarre sous les meilleurs auspices.