Qu’est-ce que Le Songe d’une nuit d’été? se demandait Victor Hugo: «C’est la fantaisie, c’est l’arabesque.» Le Songe d’une nuit d’été est une comédie dont l’évident propos est de célébrer le mariage, une comédie qui repose sur une rupture entre les amants mais pas question, chez Shakespeare, que cette discorde survienne d’une quelconque raison humaine. Aussi, le génie de Stratford introduit-il les fées. Fantaisie et arabesque, donc. Alors comment Emmanuel Demarcy-Mota a-t-il mis en bouteille ce Songe (dans une nouvelle et remarquable traduction de François Regnault)?

Dans cette grande et impressionnante salle Sarah-Bernhardt, le metteur en scène interprète la nuit qui ne serait pas seulement ce temps maléfique qui s’écoule de la fin du crépuscule au début de l’aube, mais un personnage porteur de bien d’anxiétés et de plaisirs. Et la lune «blême de colère» surveille les désastres. Le décor d’une grande beauté prend ici toute son ampleur. De hauts arbres glissent majestueusement sur des patiences manuelles, la forêt change de tons, tout cela est magique.

La pièce commence ainsi: Thésée et Hippolyte sont couchés sur une surface blanche. Élégamment habillés – vêtements de facture classique contemporain -, ils préparent leur mariage. Arrive Égée (Stéphane Krähenbühl) qui ordonne à sa fille Hermia (Sabrina Ouazani), amoureuse de Lysandre (Jackee Toto), d’épouser Démétrius (Jauris Casanova), qu’elle n’aime pas. Lysandre et Hermia s’enfuient dans la forêt magique. Démétrius les suit, lui-même poursuivi par Héléna (Élodie Bouchez), une amie d’Hermia. Le songe, ou plutôt le cauchemar, peut commencer.

À lire aussiShakespeare, comme il vous plaira

Dès la scène 2, la machine infernale shakespearienne se met en branle et la mise en scène de Demarcy-Mota va réveiller la nuit. Nous quittons avec habileté la tragédie qui sommeillait pour entrer à pas de nuit dans la féerie. Sous la baguette de son roi Obéron (Philippe Demarle), le lutin Puck (toujours suivi par ses deux doubles) et les fées, sous celle de leur reine Titania (Valérie Dashwood), vont pouvoir semer leur philtre d’amour qui déclenche une vraie pagaille: Lysandre et Démétrius tombent tous deux amoureux d’Héléna au grand dam d’Hermia.

Emmanuel Demarcy-Mota a la manière pour retrouver ce théâtre à l’ancienne qui fait si souvent défaut à tant de représentations boursouflées. Les fées sortent des trappes et Titiana traverse la scène suspendue à deux filins. Le metteur en scène a travaillé sur les bases rudimentaires du théâtre et sur ses bases, il réinvente le monde physique et le monde astral de Shakespeare.

Sans occulter l’inoxydable joie de la pièce, sa vision du Songe dévêt notre face cachée, explore notre mal-être et nos mensonges. Il sait que le langage est un moyen pour les hommes de se reconnaître la nuit lorsqu’ils ne peuvent plus s’apercevoir. «Maintenant, belle Hyppolyte, notre heure nuptiale / S’avance à grand pas ; Quatre heureux jours amènent / Une autre lune…» La première phrase de Thésée anticipe déjà la conclusion: «Doux amis, à vos lits!» et happy night!

Le Songe d’une nuit d’été, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt (Paris 1er), jusqu’au 10 février. Tél.: 01 48 87 59 50.