Dix ans se seront écoulés entre la découverte, dans une robe datant du XIXe siècle, d’un papier contenant un étrange code, et sa surprenante traduction. En 2013, Sara Rivers Cofield, archéologue passionnée qui collectionne les robes et les sacs à main anciens, achète une robe brune à crinoline dans une boutique d’antiquités du Maine. Rentrée chez elle, elle découvre plusieurs bouts de papier cachés dans une poche secrète, entre les coutures de la jupe, mais elle ne parvient pas à décrypter leur code secret. Sara Rivers Cofield poste alors une publication sur son blog. «Je mets (le message) ici au cas où il y aurait un prodige du décodage à la recherche d’un projet.» Le 14 décembre 2023, Wayne Chan, un chercheur à l’université de Manitoba a cassé ce mystérieux code.
Un mystère s’était progressivement tissé autour de ces bouts de papier. Les internautes, friands de ces défis qui traversent le temps, ont essayé de décoder les lignes incompréhensibles. On y lisait par exemple :
Bismark, omettre, feuillage, mâle, banque
Calgary, Cuba, sans garde, confondre, canard, fagan
Printemps, nature sauvage, doublure, un, lecture, novice.
Ce message a longtemps été considéré par les amateurs de cryptogrammes comme l’un des «50 messages cryptés non résolus», selon la National Oceanic and Atmospheric Administration des Etats-Unis. Des spéculations ont émergé : il aurait pu s’agir de mots d’amour, de mesures et de commandes de robes, d’informations sur des jeux d’argent illégaux ou bien d’un code secret utilisé pendant la guerre. Mais la théorie la plus solide concernait un type de code lié à la nouvelle infrastructure de communication qui a commencé à sillonner le monde dans les années 1800 : le télégraphe.
Si le télégraphe a simplifié les échanges entre les corps de métier à travers le monde, les messages devaient être condensés et abrégés pour des raisons économiques. Des livres de codes ont donc progressivement été publiés pour différentes professions. Et notamment à l’intention des observateurs météorologiques.
Passionné par le craquage de codes, Wayne Chan, chercheur à l’université du Manitoba (Canada) et enquêteur amateur, s’est plongé dans les mystères du «cryptogramme de la robe en soie». Après une longue recherche infructueuse dans plus de 170 livres de codes télégraphiques, il est tombé sur un exemplaire du Telegraphic Tales and Telegraphic History, qui contenait une section sur le code météorologique utilisé par le corps des transmissions de l’armée américaine. Les mots employés ressemblaient en tout point à ceux du message de la robe.
Chaque ligne écrite sur les papiers indiquait en fait les observations météorologiques à un endroit et à une heure donnés, qui étaient télégraphiées à un bureau central du Signal Service à Washington, DC.Bismark, omit, leafage, buck, bank peut ainsi être traduit.
BISMARK Nom de la station : Bismarck, Territoire du Dakota (dans l’actuel Dakota du Nord)OMIT Température de l’air : 56 F Pression barométrique : 0.08 in Hg (Notez que seule la partie fractionnaire de la valeur de la pression était télégraphiée, sauf si la station se trouvait à l’Ouest du 97e méridien ou si la pression était inférieure à 29.4 in Hg ou supérieure à 30.38 in Hg). Dans ce cas, la valeur réelle était de 30,08 in Hg.)LEAFAGE Point de rosée : 32°F Heure d’observation : 10:00 p.m.BUCK Etat du temps : Clair Précipitations : Aucune Direction du vent : NordBANK Vitesse actuelle du vent : 12 mph Coucher du soleil : Clair
Les résultats de l’enquête de Wayne Chan ont été publiés dans la revue Cryptologia , et partagés par la National Oceanic and Atmospheric Administration américaine (NOAA) ce 14 décembre 2023. Cependant, quelques questions demeurent. Qui était cette femme ? Sara Rivers Cofield note que la robe s’apparente davantage à la « tenue décontractée » de l’époque, ce qui, selon elle, indique qu’elle aurait pu être portée au travail. Wayne Chan a également constaté qu’un certain nombre de femmes travaillaient comme employées dans les bureaux de l’Army Signal Service à Washington, D.C., dans les années 1880. Pourquoi a-t-elle caché ces bouts de papier dans une poche secrète de sa robe ? De ce côté, les chercheurs peinent à trouver une explication. La «robe de soie» n’a pas fini de donner du fil à retordre aux aficionados de mystères historiques.