L’affaire qui a déchaîné les médias autour de la fameuse couverture d’Astérix et Cléopâtre contestée par la famille Uderzo, parce que non dédicacée, aura fait capoter la vente de ce lot phare de la dispersion fleuve de Millon

L’appétit des collectionneurs n’était pas au rendez-vous, par peur d’emporter ce lot invendable par la suite, la famille ayant jeté la suspicion, quant à l’origine de son acquisition auprès d’Uderzo. Mise à prix à 350.000 euros, la gouache de 32×17 cm, datée de 1963, est montée jusqu’à 380. 000 euros , en dessous de son estimation de 400.000 à 500.000 euros, la réserve fixée par le vendeur. Visiblement, pas de vraies enchères en salle ou au téléphone. On est loin du succès de la vente de la collection Pierre Tchernia, à Drouot, en 2017, où ses couvertures originales d’Astérix étaient quant à elles dédicacées « À Pierre Tchernia, le modeste témoignage de sympathie en hommage à l’esprit et à la gentillesse du grand homme de télévision », par René Goscinny et Albert Uderzo. Le Tour de Gaule d’Astérix (1964) s’était envolé au prix record de 1. 449 000 euros (avec frais)et Le Bouclier arverne (1968) à 1. 197 000 euros. Les deux avaient été emportés, à l’époque, par l’expert d’Artcurial, Éric Leroy, pour un même client.

La famille Uderzo aura eu gain de cause. Et c’est bien dommage pour le marché de la BD et toute l’œuvre de ce talentueux dessinateur. La famille avait tout fait pour tenter de casser la vente de cette couverture d’Astérix et Cléopâtre chez Millon et de dissuader les acheteurs de s’en porter acquéreur. La fille du dessinateur, Sylvie Uderzo, avait saisi l’avocate française, Orly Rezlan, jugeant douteuses les conditions d’acquisition par le vendeur. Une plainte avait été déposée fin novembre. Mais le parquet de Bruxelles a, au dernier moment, constaté «l’absence d’infraction» et décidé, vendredi, de classer la plainte, selon un mail d’un magistrat du parquet aux avocats dont l’AFP déclare avoir eu connaissance. Cela n’a pas suffi à convaincre les collectionneurs de prendre le risque, à un tel niveau de prix.

Me Orly Rezlan avait prévenu que tout acheteur de cette gouache originale pourrait être poursuivi pour recel. «De son vivant, Albert Uderzo a déclaré publiquement qu’il s’opposerait à la vente de tout dessin ne comportant pas sa dédicace», avait-elle soutenu, s’appuyant sur la position défendue par la famille – Sylvie Uderzo et son mari Bernard de Choisy ainsi qu’Ada, la veuve d’Uderzo -, connue pour monter au créneau dès qu’un original non dédicacé par l’auteur passe en vente publique. Avant la vente, Bernard de Choisy n’avait pas hésité à dénoncer «les croquignols du marché de l’art», à savoir «ceux qui pratiquent du troc un peu malsain de vendre des œuvres dont la traçabilité est douteuse dès lors que l’artiste ne les pas spécifiées par une dédicace». Et il restait convaincu du bien-fondé de l’action menée par son épouse et sa belle-mère pour laquelle le parquet belge n’a pourtant pas donné suite. Il avait aussi jeté la suspicion sur «le fait qu’un Français détenant un dessin sans titre choisisse de le mettre en vente non pas à Paris, mais à Bruxelles, siège de la filiale Millon», insinuant ainsi des pratiques de ventes moins fiables.

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L’étude Millon prônait pourtant sa bonne foi et s’était réjouie de la décision du Parquet, comme annoncé à la mise à prix du lot, par l’étude. Celle-ci disait détenir la trace de ce dessin original «acquis par le père du vendeur auprès d’Uderzo en personne, à la fin des années 1960- début 1970, l’œuvre était restée dans le patrimoine familial durant plus de 50 ans, en toute limpidité». Preuve à l’appui, elle a ressorti de ses cartons, il y a quelques jours, une photo sur laquelle on voit un homme présenté comme l’acquéreur du dessin partager un repas à la table du couple Uderzo, dans le jardin d’un hôtel normand à la fin des années 1960.«Nous avons montré cette photo à Sylvie Uderzo pour lui démontrer que le père du vendeur connaissait bien son père», a expliqué Arnaud de Partz, directeur de Millon Belgique.

À l’approche de la date de l’enchère, la tension était montée d’un cran, suscitant une vive réaction du vendeur : « Voilà des semaines que nous avons ouvert la porte au dialogue et, si besoin devait en être, au débat juridique – en vain. Mme Uderzo et son conseil ont cru bon, à quelques jours de la vente, d’emmener au contraire le débat sur le terrain médiatique et la place publique. On entend attaquer ma possession, paisible et de bonne foi. Les règles de droit les plus élémentaires commandent à Mme Uderzo et son conseil de rapporter la preuve de leurs allégations – à ma connaissance, il n’en est rien» avait-il déclaré.

Et d’ajouter : «En choisissant de livrer mon nom, et celui de mon père, à la presse, Mme Uderzo et son conseil ont fait le choix d’insinuer, publiquement, sans aucune preuve, que mon père était un voleur, que je suis un receleur – c’est honteux, insupportable et intolérable. Je ne peux qu’en prendre acte et me réserver tout recours à cet égard ». La justice a tranché. La décision du parquet n’a pas rassuré les acquéreurs potentiels et ne devrait pas conforter d’autres amateurs en possession de dessins originaux d’Uderzo, non dédicacés, craignant une pareille récidive de la famille. Les vendeurs qui ont reçu des originaux d’Uderzo pensent qu’ils sont assis sur un tas d’or. Mais aujourd’hui, celui-ci reste difficilement négociable. Question prix, Uderzo, reste toutefois derrière Hergé, indétrônable à ce jour avec son dernier record à 2,16 millions, chez Artcurial, pour un dessin original de Tintin en Amérique, en noir et blanc.

Joint après sa vente à Bruxelles, Me Alexandre Millon déplore cette situation ubuesque qui a conduit à faire échouer l’enchère : «les manœuvres avortées par la justice de la famille Uderzo n’auront pas empêché le potentiel de nuisance de la famille. Cela a évidemment découragé le marché. Comment peut-on jouer contre son camp ainsi. C’est préjudiciable pour l’œuvre d’Uderzo et effrayant d’absurdité», s’insurge-t-il. «Désormais, notre vendeur se réserve le droit d’agir. Mais la partie n’est pas perdue, peut-être aurons-nous des offres après-vente», conclut-il. Celles-ci n’atteindront toutefois pas le prix bas de l’estimation, comme c’est d’usage dans le marché. Affaire à suivre.