C’était en un temps où, sur les plateaux de télévision, les invités pouvaient s’exprimer longuement sans être interrompus par l’animateur, où les moments de silence se révélaient paradoxalement parlants pour mieux percevoir la réalité de la pensée des intervenants.

Le 28 septembre 1984, Bernard Pivot consacre l’un de ses Apostrophes à Marguerite Duras. Cet entretien confession marque le succès inattendu de L’Amant, dont 100.000 exemplaires ont été vendus en quatre semaines. «Vous méritez le Prix Goncourt», s’exclame Pivot en évoquant l’Académie qu’il présidera plus tard. Deux mois après, elle va obtenir cette récompense suprême. La romancière, jusqu’alors lue par une élite, va ainsi accéder au statut d’auteur populaire.

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Madelen vous propose de découvrir ou de redécouvrir ce tête à tête entre Pivot et Duras. Il s’ajoute à beaucoup d’autres qu’elle a régulièrement accordés à la télévision. En leur temps, ils n’ont pas déclenché le moindre mouvement d’adhésion passionnée ou d’hostilité. Il est évident que ses paroles prononcées aujourd’hui feraient le buzz, ou déclencheraient une foule de commentaires, de débats et d’injures sur les réseaux sociaux.

En 1964, dans Lecture pour tous, pionnière des émissions littéraires du petit écran, elle confie ainsi sans détour à Pierre Dumayet, sa dépendance à l’alcool. Elle ajoute avoir beaucoup souffert en écrivant L’abolition du sentiment, le livre dont elle assure alors la promotion. Pour la première fois de sa vie, elle n’a pas bu le moindre verre tout au long de sa rédaction. Pour évoquer ce manque, elle déclare : «J’ai eu peur d’écrire n’importe quoi». Son interlocuteur l’écoute sans ciller et sans ajouter le moindre commentaire . Il est évident qu’en 2024, cette phrase, sortie de son contexte, ferait la joie d’internautes en quête de scandales.

Et que diraient les féministes d’aujourd’hui si elles écoutaient des propos tenus par la romancière en 1965, au cours de Dim Dam Dom. Défendant la suprématie de l’homme sur la femme, parce qu’il reste jeune plus longtemps, elle assure alors que la maternité est la seule chance d’épanouissement possible pour un sexe que l’on dit faible. Qu’on ne lui parle surtout pas de l’émancipation de la femme ! Si elle devenait réalité, elle lui ferait perdre les vertus qui font ses qualités et son charme. En revanche, deux ans avant les évènements de mai 68, elle prône une libération des mœurs dont la jeunesse serait la première bénéficiaire. Face à des étudiants qui s’interrogent sur l’opportunité d’une révolution, elle répond : «commencez par vous laisser pousser les cheveux, la suite viendra naturellement !»

Les entretiens-confessions avec un milliardaire autour du thème de l’argent, ou avec Lolo Pigalle, une jeune stripteaseuse, ou ses propos sur une bourgeoisie qui, à ses yeux, n’a rien dans la tête feraient, à coup sûr, exploser l’audimat des émissions confessions s’ils se déroulaient aujourd’hui. Assumant ses contradictions, la communiste qu’elle a été dans ses jeunes années ne va pas hésiter, plus tard, à dénoncer l’URSS et confier son déchirement devant ce qu’elle a considéré comme «le plus grand espoir et le plus grand échec du siècle». Enfin, au début des années 70, elle s’est mis à dos une partie du petit monde du cinéma en dénonçant les adaptations de romans à l’écran comme une épidémie susceptible de tuer la littérature. Ce qui ne l’a pas empêché, devant les caméras, de répondre ensuite à la question d’un journaliste, «alors, pourquoi acceptez-vous de céder les droits de vos livres à des producteurs ? », «Parce que c’est le seul moyen de gagner de l’argent !»