La grande romancière guadeloupéenne Maryse Condé s’est éteinte dans la nuit du 1er au 2 avril à l’âge de 90 ans, à Apt, dans le Vaucluse, après une vie de combats humanistes. Une lutte de tous les instants contre le racisme et la discrimination. Au travers d’une trentaine de livres, elle a raconté l’histoire de l’Afrique, l’héritage de l’esclavage et les identités noires. L’Élysée a annoncé vendredi qu’Emmanuel Macron lui rendrait un hommage national le 15 avril, sur le site de la Bibliothèque nationale de France (BNF). e

La chorégraphie est immuable : la démarche compassée, le président s’avance, puis s’exprime, sur un ton grave. Emmanuel Macron, a développé un tropisme pour les commémorations et les hommages, une manière d’invoquer une Nation rassemblée par temps de fractures, et d’esquisser, en filigrane, son propre projet politique.

Le chef de l’État s’est rendu dimanche 7 avril au plateau des Glières, théâtre alpin de combats opposant l’armée allemande et la milice française aux résistants, puis à la maison d’Izieu, dans l’Ain, où 44 enfants et sept éducateurs, tous juifs, furent raflés le 6 avril 1944 puis déportés. Il s’agissait du coup d’envoi aux commémorations du 80e anniversaire de la Libération, dont les cérémonies du 6 juin, en souvenir du Débarquement en Normandie, seront le point d’orgue. Un rendez-vous obligé, mais qu’Emmanuel Macron va égrener sur l’année pour en faire un temps fort de son second quinquennat.

«Incontestablement», il y a un «tropisme mémoriel» chez ce président quadragénaire, constate l’historien Jean Garrigues. «Un goût pour l’Histoire et la mémoire», «une tendance à exalter les figures héroïques» qui se traduit par «une démultiplication des événements commémoratifs», dit-il. C’est à partir de la présidence de François Hollande que le nombre d’hommages rendus chaque année a fortement augmenté (huit en cinq ans).

Déjà 25 hommages nationaux rendus à des personnalités, 28 en comptant les hommages nationaux aux victimes françaises du terrorisme. Maryse Condé sera la 26e personnalité. À Charles Aznavour ou Jean-Paul Belmondo, au résistant Léon Gautier ou à l’ex-président de la Commission européenne Jacques Delors, à l’avocate féministe Gisèle Halimi ou au père de l’abolition de la peine de mort Robert Badinter. Mais aussi à des «héros» du quotidien, comme le gendarme Arnaud Beltrame, tué par un jihadiste auquel il s’était livré pour sauver une otage durant l’attentat de Trèbes.

«C’est le président qui enterre la seconde partie du XXe siècle», glisse un conseiller d’Emmanuel Macron pour justifier ces rendez-vous répétés dans la Cour d’honneur des Invalides – où dans un lieu symbolique pour le défunt. Sous la houlette de l’influent «conseiller mémoire», Bruno Roger-Petit, ces cérémonies sont l’occasion de discours ciselés, scandés d’une voix d’outre-tombe, pour retracer avec lyrisme un parcours de vie. Le style s’est affirmé à mesure que blanchissaient les tempes du plus jeune président de la République.

Mais il était en germe dès le soir de son élection en 2017, lors d’une longue marche solennelle et solitaire vers la Pyramide du Louvre au rythme de l’hymne européen. Par la suite, l’invention d’une «itinérance mémorielle» pour le centenaire de la fin de la guerre de 14-18 est venue confirmer son attrait pour l’exercice. «Dès avant son arrivée au pouvoir, le président a dit qu’il voulait renouer avec la tradition de célébration des héros français», explique un proche. Un autre explicite cette doctrine: «La mémoire, c’est la pierre angulaire de l’imaginaire qui nous constitue en tant que Nation.»

Emmanuel Macron choisit aussi de faire entrer des personnalités au Panthéon, comme Simone Veil, Joséphine Baker ou Missak Manouchian, ou de mettre l’accent sur certains anniversaires censés entrer en résonance avec le présent ou avec son propre leitmotiv, «en même temps» de droite et de gauche. «Napoléon Bonaparte est une part de nous», lance-t-il en 2021 pour le bicentenaire de la mort de l’empereur. Georges Pompidou est célébré pour sa «modernité de conquête», qui «pensait à la fois Vieille France et Nouvelle France», tandis que Georges Clemenceau, «Père la Victoire» de la Première Guerre mondiale, l’«inspire énormément» pour son refus du «défaitisme».

Si son entourage assure qu’il «évite toujours» de «parler de lui à travers la personne honorée», le chef de l’État n’en assume pas moins un message politique. À travers le 80e anniversaire de la Libération, il devrait rappeler une époque où les Français se faisaient la guerre entre eux, avant de se réconcilier.

Pour Jean Garrigues, ce «tropisme» s’explique notamment par la «difficulté d’Emmanuel Macron à incarner le peuple qu’il gouverne et qui l’a élu». «Il cherche des figures dans le passé de la Nation pour remplir ce vide», dans une forme «d’incarnation par délégation», estime l’historien, tout en soulignant que ces moments peuvent apparaître «déconnectés de la réalité quotidienne de la société française».

La communicante Emilie Zapalski se demande si le président n’a pas finalement «trouvé là sa place» dans ce cérémonial, alors que «c’est de plus en plus difficile pour lui» particulièrement sur la scène nationale, où il est privé de majorité absolue à l’Assemblée nationale et voit la course à sa succession s’ouvrir sous ses yeux. Le mémoriel, «c’est un peu son meilleur rôle», lance-t-elle, même si elle épingle, sur la forme, un «Emmanuel Macron qui se regarde faire et s’écoute dire».