Gérardmer a vu défiler toutes sortes de monstres pendant cinq jours. Sorcières, vampires, loup-garou et autres créatures venues de tous les pays ont peuplé les abords du lac. Et à la fin, c’est un homme ordinaire qui rafle le Grand Prix. Comme quoi, pas besoin de maquillage ni d’hémoglobine pour faire frissonner le jury, présidé cette année par l’écrivain Bernard Werber. Le héros de Sleep (en salles le 21 février), premier film du Sud-coréen Jason Yu, est somnambule. Rien de très grave en soi. Sauf que son comportement étrange la nuit venue, bouleverse de plus en plus sa femme. Son inquiétude concerne notamment leur nouveau-né. Après le chien, le bébé a-t-il du souci à se faire ? Les cauchemars troublent le sommeil de la jeune épouse.

Remarqué à la Semaine de la critique à Cannes en mai dernier, Sleep fait entrer habilement la paranoïa dans le lit d’un couple. Le mariage, dépeint ici avec une ironie certaine comme une entreprise obéissant aux lois d’un management efficient, a du plomb dans l’aile. Sleep a aussi des failles, comme le jeu des comédiens, au-delà de l’expressionnisme. C’est en particulier vrai pour Jung Yu-mi, qui joue l’épouse inquiète – le regretté Lee Sun-Kyun, l’acteur de Parasite, est plus dans la retenue. Elle fait passer Jim Carrey pour un modèle de sobriété. On dira que c’est culturel et que Sleep obéit aux codes du cinéma coréen. Peut-être mais quand la mise en scène n’a pas la virtuosité de celle d’un Bong joon-ho ou d’un Park Chan-wook, ça saute aux yeux et écorche les oreilles. Plus embêtant dans le cas de Sleep, son dernier acte et sa résolution, grand guignol et peu inspiré, à rebours d’une première heure maîtrisée.

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Le Prix du jury récompense deux films ex-aequo, Amelia’s children et En attendant la nuit. Deux œuvres intéressantes. On a déjà dit tout le bien qu’on pensait du premier, version œdipienne et lusitanienne du Get out de Jordan Peel. On y revient bientôt puisque ce deuxième film de l’Américano-portugais Gabriel Abrantes sort mercredi prochain. Il faudra patienter jusqu’à l’été pour voir en salles En attendant la nuit. Ce premier long métrage de Céline Rouzet confirme le regain d’intérêt pour le film de genre du cinéma français, longtemps sclérosé par un naturalisme morne. Après Grave de Julia Ducournau et Le Règne animal de Thomas Cailley- en tête des nominations aux Césars avec 12 citations – et d’autres incursions plus ou moins réussies dans le fantastique (Acide, Vincent doit mourir, Vermines), En attendant la nuit montre les vertus de l’imaginaire et de la métaphore.

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C’est la version vampire d’À bout de course, le chef-d’œuvre de Sidney Lumet. La famille est en cavale non pas à cause des parents mais du fils aîné, Philémon (le débutant Mathias Legout Hammond, faux air de River Phoenix), buveur de sang dès sa naissance protégé par des parents aimants et une petite sœur rigolote. On devine qu’ils déménagent souvent, dès que leur secret est sur le point d’être découvert. Ils s’installent cette fois dans un quartier pavillonnaire près de la forêt et loin de la ville. La mère (Élodie Bouchez) barbote des poches de sang au centre de perfusion où elle travaille pour nourrir son rejeton. Mais Philémon a désormais 17 ans. Il est moins sérieux, tombe amoureux de la fille des voisins (Céleste Brunnquell) et réprime de moins en moins ses pulsions. Teen movie vintage (les années 1980), plus suggestif qu’horrifique, En attendant la nuit séduit et prouve que le mythe du vampire est immortel.

La critique et le public se sont retrouvés avec un mauvais goût commun en remettant leur prix à When Evil Lurks, cinquième long-métrage de l’Argentin Demian Rugna. L’histoire de deux frères confrontés à une épidémie de violence provoquée par un cadavre possédé par un esprit démoniaque. Hommes, femmes et surtout enfants contaminés se mettent à trucider sauvagement leur entourage. Rugna est un peu trop sûr de lui et de ses effets. On va nous faire le coup de la parabole politique, dans un pays gouverné par un président, Javier Milei, qui massacre le service public à la tronçonneuse. When Evil Lurks n’est qu’un divertissement nihiliste, plombé par des tunnels de dialogues lourds et explicatifs. Pour ceux qui voudront juger par eux-mêmes, la Cinémathèque française à Paris reprend l’intégralité de la compétition du 31 janvier au 5 février.