Le confinement de 2020 a poussé beaucoup de Français à l’introspection, et les auteurs de BD ne font pas exception. Charles Berberian (Le Journal d’Henriette, Monsieur Jean…), a trouvé dans cette période suspendue un point de départ pour raconter «son» Beyrouth. C’est la ville dans laquelle il a passé une partie de ses jeunes années entre 1969 et 1975, avant d’arriver à Paris pour fuir la guerre civile.

Dans Une éducation orientale, qui fait partie de la sélection officielle 2024 du Festival d’Angoulême, il croque la grouillante capitale libanaise telle qu’elle est aujourd’hui, avec son «bordel ambiant», son peuple meurtri par l’explosion du 4 août 2020, qui n’attend plus grand-chose de l’avenir. Mais surtout, comme le titre le laisse présager, il revient sur les traces de son enfance. Charles Berberian convie le lecteur à une déambulation à pied au coeur de la ville. Pas facile de s’y reconnaître, dans la mesure où depuis le début des années 1970, de nombreux bâtiments ont été rasés, les rues ont littéralement changé de visage.

Il parcourt son paradis perdu, avec, il faut le dire, un peu de mélancolie. Ce sont d’autres images qui lui reviennent en tête. Celles du temps où le Liban était encore la Suisse du Moyen-Orient. On revit ses journées à la plage de l’hôtel Saint-Georges, les nuits d’orage depuis l’immeuble Tarazi, ses premières toiles au cinéma Saroulla ou l’attente à l’arrêt de bus dans l’espoir de croiser une jolie fille… On assiste ensuite avec lui aux premiers soubresauts de la guerre civile en 1975, au rythme des «confinements» (tiens, tiens) dans l’appartement. «Viens dans le couloir quand ça tire de partout, please», lui ordonne sa mère. Mais aussi des cessez-le-feu. «Ne rentre pas trop tard et fais attention aux francs-tireurs».

Une éducation orientale est aussi un bijou sur le plan graphique. À l’image de cette ville décousue et grouillante, cet album, est un patchwork anarchique de différentes techniques et formats. Comme Beyrouth s’affranchit des règles d’urbanisme, Berberian se joue des figures imposées. L’auteur mélange les styles, passe de l’un à l’autre, revient au précédent. Certes le lecteur retrouve la patte de l’auteur, celle de ses œuvres les plus connues, dans les cases les plus classiques. Mais les aquarelles sont à couper le souffle et les dessins au Bic 4 couleurs sont remarquables. Charles Berberian ajoute des photos, des vieilles cartes postales, des morceaux de cartes routières… Il mélange aussi les époques, en incorporant au récit certains de ses dessins les plus anciens.

Une éducation orientale est finalement une déclaration d’amour. À cette ville d’abord, que l’auteur aime comme un membre de sa famille que l’on se permet parfois de critiquer un peu. Et aussi à ses proches disparus, à qui il redonne vie dans la douceur des jours heureux. Il y a ses parents, mais surtout sa grand-mère grecque Yaya et son frère, le réalisateur Alain Berberian disparu en 2017, la figure paternelle la plus présente. Un hommage plein de pudeur et d’une grande virtuosité.

«Une éducation orientale», de Charles Berberian, Casteman, 160 pages, 25 euros.