Né en 1937 à Orléans, Jean-Marie Villégier est décédé dans la nuit à l’âge de 86 ans dans la nuit de lundi à mardi, a annoncé mardi l’Opéra-Comique de Paris avec lequel il avait de nombreuses fois collaboré. Metteur en scène de théâtre et d’opéra, cet amoureux du vers a toujours défendu le répertoire du XVIIe siècle. Il tombe amoureux des planches très jeune. Enfant, il voit La Célestine de Calixte et de Mélibée et La Vie est un songe, de Pedro Calderón de la Barca, monté par Charles Dullin. À 8 ans, il apprend par cœur des vers d’Horace.

En classe de quatrième et de troisième au lycée Buffon, il récite avec un certain Laurent Terzieff, la première scène du Misanthrope de Molière. Villégier joue Alceste, son ami, Philinte. Ils interpréteront aussi Les Fourberies de Scapin, lui sera Silvestre et Terzieff, Scapin. «Passe d’abord l’agrégation, tu feras du théâtre après», lui conseillent ses parents.

Ce fils d’universitaire, qui termina sa carrière comme inspecteur général d’espagnol, fait hypokhâgne et khâgne au lycée Louis-le-Grand, «le bagne!», puis l’École normale supérieure. Agrégé de philosophie, pendant ses études, il a rencontré Bernard Dort. Villégier est nommé, dans les années 1970, au Centre universitaire international de formation et de recherche dramatiques à l’Université de Nancy, puis assistant en histoire du théâtre et du cinéma. Il lit toutes les pièces de Corneille pour encadrer un stage de comédiens. En 1985, Jean-Marie Villégier fonde sa propre compagnie, l’a baptisant L’Illustre Théâtre, comme celle de Molière. Il souhaite faire découvrir le théâtre de l’auteur.

En parallèle, ce mélomane ne cesse d’écouter des musiques d’opéras. Il possédait des disques de Mozart, Les Noces de Figaro, dirigé par Erich Kleiber ou Don Giovanni, par Joseph Krips. Il signe ses premières œuvres avec Marcel Bozonnet lors d’un stage en 1969. Le comédien l’invite à rejoindre «une petite équipe d’amis» qui répétait sans un sou, Léonce et Léna de Büchner en 1969. Suivra Héraclius empereur d’Orient de Corneille en 1971. Au total, Villégier compte à son actif plus d’une quarantaine de pièces, dont Le Malade imaginaire, l’ultime comédie-ballet de Molière, au théâtre du Châtelet en 1990, L’amour Médecin et Le Sicilien ou l’Amour peintre, souvent pour la Comédie-Française.

Nommé administrateur du Français en 1983, Jean-Pierre Vincent le sollicite pour monter Cinna de Corneille et La Mort de Sénèque de Tristan L’Hermite, qui entre ainsi au répertoire de la maison de Molière (1984). Auparavant, Villegier met en scène des élèves-comédiens de l’École du Théâtre national de Strasbourg dans Sophonisbe de Corneille et Andromaque de Racine. Plus tard, suite au triomphe d’Atys, l’opéra de Lully et Quinault, il devient le directeur du (TNS).

C’est à 46 ans, en 1983, que Villégier aborde pour la première fois l’opéra, à la Monnaie de Bruxelles alors dirigée par le jeune Gerard Mortier. Suivra Le Couronnement de Poppée, de Monteverdi, à Nancy, en 1985 : choix logique s’agissant d’un spécialiste du théâtre du XVIIe siècle.

C’est l’époque où l’on redécouvre l’opéra baroque avec des oreilles neuves grâce à l’essor de nouveaux orchestres baroques, mais le visuel est encore à la traîne. Aix vient de ressusciter Hippolyte et Aricie, de Rameau, sous la direction flamboyante de Gardiner, mais dans la mise en scène académique de Pier Luigi Pizzi. Aussi, lorsque l’Italien Massimo Bogianckino, alors directeur de l’Opéra de Paris, auquel l’Opéra-Comique est encore rattaché, décide de confier à William Christie un opéra de Lully pour le tricentenaire de sa mort en 1987. Christie refuse Pizzi.

Thierry Fouquet, administrateur de la salle Favart, suggère Villégier, avec qui il a travaillé au ballet de l’Opéra. En découlera Atys – en collaboration avec la chorégraphe Francine Lancelot : un de ces spectacles phares dont on peut dire qu’il y a un avant et un après. Dès cet instant, la vague baroque est devenue lame de fond. Nulle trace d’archéologie, pourtant, chez Villégier metteur en scène d’opéra. Il transpose l’action dans un salon à l’époque de Louis XIV, où la plasticité des costumes et éclairages crée une atmosphère crépusculaire.

Le duo préférera d’ailleurs toujours parler « relecture postmoderne », réfutant l’idée même de reconstitution : « une production qui sent la musicologie devant le public est une production ratée », se plaisaient à dire Christie et Villégier. Jolie subversion, qui donne l’impression de classicisme alors qu’il s’agit de revisiter les codes avec le recul du temps. D’autres suivront, de Rameau à Berlioz, sans forcément retrouver l’état de grâce d’Atys, mais toujours avec goût et intelligence… Après avoir fait le tour du monde, cette production-totem avait d’ailleurs fini par retrouver le giron de l’Opéra-Comique en 2011, après avoir été entièrement remontée pour l’occasion.