Trois mois après le début de ses travaux, la commission d’enquête sénatoriale sur «l’utilisation de TikTok, son exploitation des données et sa stratégie d’influence» s’apprête à auditionner ce jeudi la direction française de l’application: Éric Garandeau, directeur des affaires publiques, puis Marlène Masure, directrice des opérations France, Benelux et Europe du Sud, seront successivement interrogés pendant plus de deux heures par une dizaine d’élus.
Les sénateurs cherchent à faire la lumière sur les liens de TikTok avec la Chine, qu’il s’agisse du degré d’indépendance avec le pouvoir central ou bien du transfert de données personnelles vers ce pays, sur la présence d’opérations d’influence et de désinformation, et sur les dangers présentés par l’application vis-à-vis des enfants et des adolescents. TikTok est-il plus préoccupant qu’un Instagram ou qu’un YouTube, et si oui en quoi?
L’audition de la direction de TikTok France s’annonce comme le point d’orgue d’une enquête parlementaire qui doit publier ses conclusions et recommandations début juillet. «Plus nous avançons, plus je suis marquée par l’opacité de TikTok», indique au Figaro la sénatrice Marie Mercier (Les Républicains). «Nous attendons beaucoup des auditions afin de mieux comprendre les ramifications de cette entreprise», ajoute la sénatrice Catherine Morin-Desailly (Union centriste). Cette dernière a été désignée présidente de la commission spéciale sur le projet de loi numérique du ministre Jean-Noël Barrot, où figurent aussi d’autres membres de la commission d’enquête TikTok. «C’est une bonne chose, car cela nous permettra d’étayer encore plus le travail de la commission spéciale sur la sécurisation de l’espace numérique. Cette concomitance est intéressante», souligne la sénatrice.
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Seuls les citoyens français sont obligés de répondre, sous serment, aux questions d’une commission d’enquête parlementaire. Cela explique pourquoi, malgré les demandes des sénateurs, aucun dirigeant de TikTok Europe ou monde ou bien de la maison mère ByteDance n’ont été interrogés à ce jour. La commission a toutefois un pouvoir de réquisition de documents chez les sociétés domiciliées en France, qu’elle a exercé concernant la filiale locale de TikTok. Cette dernière a aussi reçu un questionnaire, tout comme l’ensemble des acteurs auditionnés.
En trois mois, la commission d’enquête a réalisé près d’une vingtaine d’auditions publiques d’experts et de régulateurs. Ont ainsi été interrogés Louis Dutheillet de Lamothe, secrétaire général de la Cnil, Benoît Loutrel, membre de l’Arcom, Nicolas Lerner, directeur général de la DGSI, les psychologues cliniciennes Milan Hung et Sabine Duflo, le chercheur en intelligence artificielle Marc Faddoul, le chercheur en géopolitique des technologies Julien Nocetti… À ces auditions publiques s’est ajoutée toute une série d’entretiens confidentiels.
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Fin mars, le directeur de TikTok, Chew Zi Shou, avait été auditionné pendant près de cinq heures par des élus américains. Mais rien n’était ressorti de cette session particulièrement électrique. Une autre investigation, menée par l’autorité irlandaise de protection des données personnelles, devrait apporter des réponses sur le transfert de données européennes vers la Chine. Les conclusions pourraient être publiées cet été.