Ce week-end, top départ des vacances de Noël : les gares vont par conséquent être prises d’assaut par les voyageurs, impatients de rejoindre leur famille pour les fêtes de fin d’année. Pour gérer autant de public, la SNCF est pionnière dans l’utilisation des «nudges» («coups de coude» en français), à travers son opérateur francilien Transilien. Issues des sciences comportementales, ces petites techniques – qui ont valu le prix Nobel d’économie à l’Américain Richard Thaler en 2017 – visent à encourager les gens à adopter des comportements plus positifs, mais sans les y forcer.

Voyant tout le potentiel de cette théorie, Transilien SNCF a créé en son sein une unité dédiée en 2015, et s’est lancé dans de premières expérimentations en 2016. La compagnie «a mené à ce jour plus de 50 projets qui touchent à des sujets variés de l’expérience voyageur», rapporte-t-elle. Et les résultats sont là. Pour expliquer sa démarche et partager ses avancées, l’entreprise ferroviaire a organisé une grande conférence sur le sujet à la Cité des sciences, à Paris. L’occasion pour elle de mettre en avant plusieurs expérimentations menées ces sept dernières années sur le réseau, touchant à la gestion des flux, à la propreté ou encore à l’information voyageurs. À l’image de son nudge «anti-épanchements», déployé dans 19 gares d’Île-de-France à partir de 2019, destiné à éviter que les voyageurs se soulagent n’importe où dans les gares. Pour ce faire, des stickers géants représentant ici une foule de spectateurs, là des rugbymen en plein haka, ont été collés à certains endroits, créant une présence visuelle. Des objets, comme des ballons de basket ou de rugby, ont également été installés dans des coins isolés. Résultat : une chute de 81% des épanchements en moyenne, et des frais de maintenance et d’entretien en baisse.

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Pour éviter les embouteillages devant les portiques de validation, là encore Transilien SNCF expérimente un nudge dans quatre gares franciliennes (Paris Nord, Pantin, Stade de France Saint-Denis et Neuilly-Porte Maillot). Il s’agit de messages affichés en grand avant certaines portes de validation. Mettant en scène des athlètes, ce nudge est construit en trois étapes : «3… À vos titres de transport / 2… Prêts ? / 1…Validez !» «Ces dispositifs visent à faire anticiper aux voyageurs du quotidien et particulièrement aux voyageurs occasionnels le geste de validation des titres de transport afin de fluidifier les passages au niveau des portes de validation, ainsi éviter la congestion aux heures de grande affluence», expliquait Transilien SNCF l’an dernier. Selon la compagnie, ce nudge a permis de faire baisser la proportion de voyageurs tardant à sortir leur titre de transport aux portes de validation de 8% à 2%.

Les bagages oubliés sont une autre problématique à laquelle la compagnie tente de s’attaquer grâce aux nudges. En gare de Paris Nord, a ainsi été expérimenté un dispositif pour inciter les voyageurs à signaler eux-mêmes les affaires oubliées par d’autres usagers. Il s’appuie sur un message sonore («Soyez dès aujourd’hui des voyageurs attentifs. Pour éviter la destruction de vos affaires et des perturbations sur votre ligne, ne laissez rien derrière vous»), ainsi que des affiches. Elles mettent en scène un geste d’entraide entre voyageurs, un homme interpellant un autre «Monsieur, vous oubliez ça !», en lui montrant une sacoche, l’autre lui répondant : «Oh ! Merci». «Grâce à ce dispositif, le nombre de voyageurs interpellant d’autres personnes oubliant leurs affaires est passé de 12% à 42%», affirme Transilien.

Fort de ces expérimentations réussies, l’opérateur ne veut pas s’arrêter en si bon chemin. «Nous avons à cœur de développer ces approches de sciences comportementales. Nous allons mettre le paquet sur notre Nudge Unit, afin de renforcer l’expérience voyageur. Nous ne sommes qu’au début», précise Alain Ribat, directeur général de Transilien SNCF. Pour le patron de l’entreprise ferroviaire, «les nudges sont un levier d’amélioration de l’offre évident», alors que les usagers râlent très souvent au sujet de leurs conditions de voyage. «Fluidifier les flux» et «renforcer la sûreté des voyageurs», voilà les deux problématiques principales pour lesquelles Alain Ribat veut développer les nudges.

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Au-delà de Transilien, et donc de la région Île-de-France, la SNCF et ses filiales (notamment Keolis) développent des nudges un peu partout en France. Comme un dispositif destiné à améliorer la sécurité aux passages à niveau, via des marquages au sol et des panneaux explicites, expérimenté dans deux communes et en cours de déploiement dans quatre autres. Ou un autre à Lyon, à la station de métro Part-Dieu, pour faciliter l’orientation et améliorer la gestion des flux, grâce à des indications affichées en plus gros ou encore des messages positifs – par exemple «Félicitations : vous êtes au top !» écrit en haut d’un escalier.

D’autres exemples ont déjà été mis en avant par la SNCF, à l’image de «Poubellator» dans les trains Ouigo pour améliorer la propreté des wagons. Ou bien encore le nudge pour accroître le port de la ceinture de sécurité dans les bus scolaires des départements de la Drôme et de l’Ardèche, avec des affiches dans les cars, un fourreau autour de la ceinture plus visible et des housses autour des sièges montrant des personnages enclenchant leur ceinture. Efficaces et peu coûteux, les nudges semblent faire de plus en plus d’adeptes, côté entreprises mais aussi administrations. Comme le souligne le chercheur américain Cass Sunstein, co-auteur du livre fondateur «Nudge» avec Richard Thaler, «c’est une solution attrayante pour les gouvernements, car ces techniques poussent les gens à faire les meilleurs choix sans toucher à leur libre arbitre, et sans que ça coûte beaucoup d’argent».