Il y a des scènes de violence policière, des bébés brandis sous la pluie par des mains gantées et des corps qui chutent dans la Seine, lors du massacre du 17 octobre 1961. Roman graphique tout de noir et blanc, Élise et les Nouveaux Partisans ne dissimule rien des déchaînements et des passions de la politique pour retracer le parcours d’un alter ego de la chanteuse et militante Dominique Grange, de la guerre d’Algérie à Mai-68. Adaptée dans la langue de Goethe, la BD parue en 2021 chez Delcourt, devait être livrée aux librairies d’Allemagne le 16 janvier. Il n’en a rien été. Dans les derniers jours avant sa sortie, les éditions Carlsen ont relu la postface de l’écrivaine et l’ont jugé trop incendiaire.

«Je continuerai de soutenir, de ma voix et de mes chansons, toutes les formes de résistance au libéralisme, à l’impérialisme et à la tyrannie des régimes dictatoriaux», proclame la scénariste de l’album, avant d’en venir au sujet de la fâcherie : «… et de réaffirmer toujours ma solidarité avec la résistance exemplaire du peuple palestiniens depuis 70 ans, contre l’occupation et l’apartheid israélien.»

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L’engagement propalestinien de Dominique Grange aura été de trop aux yeux des éditions Carlsen. «Nous souhaitions éviter de nous retrouver dans l’inextricable débat BDS (pour «Boycott, désinvestissement, sanctions», du nom de la campagne contre Israël lancée en 2005 par un comité d’ONG palestiniennes, NDLR.), dans lequel, en tant que Carlsen, nous ne voulions pas prendre position», a avancé un porte-parole de l’éditeur au Frankfurter Allgemeine Zeitung. Si le conflit israélo-palestinien n’est pas le sujet d’Élise et les Nouveaux Partisans, la longue postface dont est extraite la «phrase de trop» évoquée par l’éditeur figurait pourtant déjà dans la version française de l’œuvre.

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Signe des remous que suscite la décision, le traducteur allemand du roman graphique a annoncé avoir cessé, séance tenante, toute collaboration avec Carlsen. En France, ni Dominique Grange, ni le dessinateur Tardi n’ont été prévenus de l’annulation de la parution allemande de la BD, prévue de longue date chez Carlsen. L’éditeur français s’est également ému de la réaction de l’éditeur d’outre-Rhin. «Les éditions Delcourt se joignent aux auteurs pour condamner cette censure absurde et indigne, puisque les propos tenus par Dominique Grange n’engagent qu’elle et non l’éditeur», a fait savoir le groupe dans un communiqué, le 24 janvier.

Depuis quelques années, l’Allemagne ne badine plus avec les discours relatifs au conflit israélo-palestinien. En 2019, le Bundestag a voté une résolution désignant la campagne BDS de boycott d’Israël comme étant de nature antisémite. Quoique non contraignante, la nouvelle législation a mené quelques semaines plus tard à la démission de Peter Schäfer, le directeur du Musée juif de Berlin. Il avait été jugé responsable d’un tweet de son établissement qui s’était opposé à la résolution. «Supporter la campagne BDS en Allemagne revient à suicider sa carrière», constatait à la suite de cette affaire le média israélien propalestinien 972 Magazine .