Intitulée «Catherine Meurisse. Une place à soi», en clin d’oeil à l’ouvrage de Virginia Woolf, l’exposition ouvre vendredi à Strasbourg au musée Tomi Ungerer-Centre international de l’illustration dans le cadre de Rencontres de l’illustration mettant en lumière les femmes artistes. Occasion de revenir sur le parcours de cette malicieuse artiste de 43 ans et son rapport aux arts et à la nature.

Catherine Meurisse «est une illustratrice qui s’est déjà fait une place, un peu une figure de proue pour cette manifestation qui tend à redonner une visibilité à ces illustratrices», a expliqué à l’AFP Morgane Magnin, commissaire de cette exposition qui se tient jusqu’au 3 septembre.

Première femme dessinatrice de presse à rejoindre la rédaction de Charlie Hebdo à 25 ans, elle a aujourd’hui quitté le dessin de presse et réalise des illustrations colorées, poétiques et humoristiques pour des revues telles que Zadig ou Philosophie magazine, tout en publiant ses propres albums. «À Charlie, on dessinait tous les jours comme des dingues, aujourd’hui, mon dessin ralentit», a-t-elle expliqué lors du vernissage la première auteur de bande dessinée à avoir été élue à l’Académie des Beaux-Arts.

Comment vous êtes-vous fait votre place dans un milieu très masculin ?

Je n’avais pas forcément une idée très précise de ce que je voulais faire, j’ai d’abord suivi des études de lettres avant de m’inscrire à deux écoles d’art à Paris, l’école Estienne et les Arts Déco. C’est en sortant de ces écoles que j’ai découvert le dessin de presse et que je suis rentrée à Charlie Hebdo où j’ai travaillé pendant un peu plus de dix ans. Ce sont eux qui sont venus me chercher, je crois que je n’aurais pas osé taper à la porte de Charlie, j’étais beaucoup trop timide pour ça… En y entrant, je me souviens avoir sauté de joie en me disant : là, j’ai mon métier! C’est la première fois que j’ai senti qu’il y avait une place à se faire et je l’ai faite. C’était facile parce qu’il y avait une ambiance bienveillante, des gens intelligents, ouverts, pédagogues. Tignous, Cabu étaient enchantés qu’une femme arrive, ils ne comprenaient pas qu’il n’y ait pas plus de femmes dans le dessin de presse.

Avec vos œuvres comme Mes Hommes de lettres ou Le Pont des arts , essayez-vous d’établir des passerelles entre artistes, écrivains et vos lecteurs?

Je fais ce pont d’abord pour moi. Je rassemble tous ces artistes et ces grands écrivains dont certains m’impressionnent, pour qu’ils cessent de me faire peur. Je les rassemble aussi parce que je les aime profondément, je leur rends hommage. Souvent je m’en moque mais c’est aussi une façon de leur déclarer ma flamme. J’ai absolument besoin de me nourrir de tous les arts, c’est vraiment ce qui me fait tenir debout.

Quel est votre lien avec la nature, un autre thème prégnant dans votre travail?

J’ai grandi à la campagne dans l’ouest de la France. Les vieux murs de pierre sèche, les arbres, les saisons… Tout ça m’est familier depuis que je suis enfant et je crois que ça a forgé vraiment un état d’esprit, un sens de l’observation qui est au coeur de mon métier et qui me sert toujours. L’observation, c’est comme la gymnastique, il faut la pratiquer: il ne faut jamais ramollir de l’œil ! Aujourd’hui, malheureusement, le lien avec la nature est trop souvent rompu. Je vis en ville mais dès que je retrouve ce lien j’ai l’impression que ma vie est augmentée. Ma vie, ma vue, mes sens, tout est augmenté et ça me donne envie de continuer à dessiner.

Pourquoi créer un personnage à votre image dans La Légèreté ?

La Légèreté est très liée à l’attentat contre Charlie Hebdo. Après cet effondrement, en janvier 2015, je ne savais plus qui j’étais et il a fallu que je me représente, que je me dessine, pour me prouver que je n’étais pas morte avec les copains. La quête de beauté est aussi apparue pour des raisons vitales. Même si La Légèreté est aussi un album où il y a de l’humour, j’ai vraiment pris au sérieux tout ce qui pouvait me redonner vie. Je me représente aussi dans les albums qui ont suivi: Les Grands espaces et La Jeune fille et la mer. Ces livres forment une trilogie qui n’était pas programmée mais qui suit mon cheminement intérieur et personnel. Qui suis-je après une catastrophe pareille ? Suis-je encore capable de dessiner ? D’où je viens ? Dans Les Grands Espaces, je raconte mon enfance. Et avec La Jeune fille et la mer, je m’interroge sur ce que je eux sauver avant une catastrophe cette fois-ci naturelle. Ces trois livres évoquent la perte, la perte de gens qu’on aime, de paysages qu’on aime.

Quels sont vos projets aujourd’hui?

Après avoir rencontré l’équipe de Charlie, j’ai rencontré une autre compagnie, celle des académiciens et des académiciennes et c’est tout aussi intéressant, dans un autre genre… En janvier, Emmanuel Guibert (dessinateur et scénariste de BD, NDLR) a été élu à l’académie. À nous deux on peut encore mieux représenter la bande dessinée. Ce qui serait bien, c’est de créer un grand prix de bande dessinée. Il y a beaucoup de choses à faire et on a tout le temps parce qu’on a toute la vie !