«Désolé, l’entrée est bloquée pendant 45 minutes», explique un agent de sécurité à une femme souhaitant visiter le Musée d’Angoulême. Quelques instants plus tard, peu avant 15h, le petit convoi de la nouvelle ministre de la Culture apparaît au coin de la rue. De passage au 51e Festival international de la bande dessinée d’Angoulême pour rencontrer auteurs et éditeurs, Rachida Dati a choisi de commencer son programme par l’exposition «Attraper la course – L’art de courir par Lorenzo Mattotti». Au son de quelques casseroles, la ministre ne se démonte pas et serre la main des personnes venues la saluer. Une horde de journalistes, photographes et vidéastes la suivent ou la précèdent à l’intérieur du bâtiment.
Quelques étages plus haut, la situation se complique. En effet, l’exposition se déploie sur plusieurs pièces mais les espaces de circulation ne sont pas adaptés à la présence de grappes de reporters qui essayent péniblement de photographier ou de filmer Rachida Dati et Lorenzo Mattotti (qui vient de la rejoindre) pendant leur déambulation. D’autres journalistes tentent de s’approcher au maximum pour attraper au vol les paroles échangées à voix basse entre la ministre et l’artiste italien de 70 ans, notamment connu pour ses couvertures du New Yorker et son film d’animation La Fameuse Invasion des ours en Sicile.
Enfin, voilà une petite anecdote de la part de Mme Dati: «Je cours sur les berges de la Seine mais je trouve que ce n’est pas si confortable que cela. Avec les pavés, le sol est très irrégulier.» L’exposition, accessible jusqu’au 10 mars puis appelée à voyager, n’est pas sans rapport avec la capitale puisqu’elle se tient dans le cadre de l’«olympiade culturelle», une programmation nationale mêlant art et sport en amont des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Plus loin, la ministre et l’artiste, accompagnés de Marguerite Demoëte, la commissaire de l’exposition, poursuivent leur lente progression.
Certains journalistes jouent des coudes, d’autres prennent de l’avance, espérant être bien placés pour la prochaine séquence photo ou vidéo. Posséder une perche ou un zoom offre davantage de chances d’obtenir une bonne prise de vue. Mais attention aux œuvres! Le personnel du musée veille au grain et demande à chacun – avec un succès relatif – de porter son sac à dos devant soi pour éviter de bousculer les cadres suspendus. Pendant ce temps, Rachita Dati écoute les explications de Lorenzo Mattotti, pose des questions, éclate parfois de rire. «Elle a noté l’effet de circulation des dessins, des cadres, des compositions», estime Marguerite Demoëte, à l’issue du parcours. Le fait d’elle-même pratiquer la course l’implique dans l’exposition, ce qui fait qu’elle va avoir des questions extrêmement pertinentes: comment représente-t-on la douleur de la course, sa dimension psychologique, mais aussi le corps féminin?»
De retour au rez-de-chaussée, Rachida Dati prend un café et discute informellement. Elle reçoit en cadeau le livre Tarz, broder au Maroc, hier et aujourd’hui, reprenant l’exposition éponyme de 2022, au même musée d’Angoulême. Une femme algérienne souhaite la prendre en photo, la ministre lui propose aimablement de venir à côté d’elle pour figurer sur le cliché. «Vous saviez que ma mère était algérienne?» Le temps file, il est temps de se diriger vers la suite du programme: visite de l’espace «Le Nouveau Monde» (acteurs de la bande dessinée indépendante), du «Monde des Bulles» (éditeurs de BD franco-belge et de comics) et du grand pavillon Canada.
Dehors, au moment de remonter dans sa voiture, la ministre essuie une nouvelle salve de cris et de huées: «Mise en examen pour corruption, ouuuh!». «J’ai du succès, hein?», plaisante-t-elle. Sa capacité à s’attirer la sympathie des créateurs de BD dépendra, elle, de ses éventuelles annonces en faveur du secteur. La création d’un statut d’auteurs-artistes semblable à celui des intermittents du spectacle, réclamé par la profession, sera-t-il évoqué?