Jeudi 7 mars en début d’après-midi, par un soleil radieux, les passants en haut de la rue des Martyrs près de Pigalle ont eu la surprise de se promener au son des mélodies de Maurice Ravel (1875-1937). Très vite, la police a bloqué la rue pour permettre à plus de 150 personnes de se rassembler. Dans la foule, on reconnaissait la délicate pianiste japonaise Marika Noda qui fut l’élève de l’unique élève de Maurice Ravel et qui a enregistré toute son œuvre au Japon. En écharpe bleu et parka assorti, l’écrivain Jean Echenoz était ravi d’être là. Particulièrement élégant, le réalisateur Fabien Caux-Lahalle, auteur de la formidable série d’investigation Mais qui a tué le Bolero de Ravel ? (**) est arrivé drapé dans un manteau majestueux, le regard mutin caché derrière des lunettes fumées. «J’ai essayé d’être aussi chic que Maurice Ravel», plaisante-t-il.

Après avoir écouté en silence le Kaddish de Maurice Ravel que le président de la République Emmanuel Macron a fait jouer récemment en hommage aux victimes françaises des terroristes du Hamas en Israël, il était temps de procéder à l’inauguration. D’un coup sec, Jean Echenoz, le professeur agrégé, Manuel Cornejo, chercheur sur l’auteur du Bolero et président de l’association des Amis de Maurice Ravel (*), Serge Touzelet son vice-président et Delphine Bürkli maire du IXe arrondissement de Paris (Horizons) accompagnés de plusieurs enfants du quartier ont fait tomber un lourd rideau en velours rouge. En présence entre autres du chanteur lyrique François Le Roux, d’Anne Millon Fontaine, directrice de la maison musée de Maurice Ravel et du conservateur Philippe Huez accourus de Montfort-l’Amaury (Yvelines) où un concert de jazz manouche au balcon du « Belvédère » avait été joué dans la matinée, une plaque en marbre de Carrare est apparue sous les bravos à six mètres de hauteur à droite de l’imposant portail en bois bleu du 40 rue des Martyrs. « C’est formidable », a commenté ému Frédéric Gaussin, musicologue au CNRS, entouré d’autres Ravéliens spécialement venus de Biarritz et de Saint-Jean de Luz, deux autres hauts lieux de la vie de Maurice Ravel.

C’est la quatrième plaque en hommage au compositeur à Paris et banlieue à l’initiative des Amis de Maurice Ravel. La première a été posée en 2015 au 11 rue Louis Rouquier à Levallois-Perret où les Ravel ont vécu de 1904 à 1908, la seconde en 2019 au 21 rue d’Athènes près de Saint-Lazare dans l’hôtel parisien préféré de Maurice Ravel en face de chez ses proches amis Godebski (Cipa est un personnage important du film Bolero, incarné par Vincent Perez actuellement au cinéma). La troisième plaque a été dévoilée en 2021 au 19 boulevard Pereire où il a habité de 1901 à 1904 près de chez Claude Debussy.

Cette quatrième plaque dévoilée jeudi 7 mars, date de 149e anniversaire de naissance à Ciboure au Pays basque du compositeur, rappelle qu’il a grandi là ses cinq premières années. «Il habita le quartier jusqu’en 1896 puis de 1899 à 1901», peut-on également lire sur la plaque. Comme cela se faisait à l’époque, son petit frère Édouard est né le 13 juin 1878 dans l’appartement familial niché dans l’immeuble en arrière-cour du 40 rue des Martyrs. Selon les photos d’archives, il est vraisemblable que Maurice Ravel allait à l’école de la rue Milton juste derrière. Delphine Bürkli a donc invité les écoliers à venir lire des extraits du roman Ravel de Jean Echenoz paru aux éditions de Minuit. Présents également, des élèves du Conservatoire du IXe arrondissement ont accompagné la cérémonie en musique. Plus tard, la joyeuse foule s’est retrouvée pour un verre de l’amitié offert par la mairie dans la cour pavée végétalisée de l’immeuble puis pour un concert offert par le couple de pianistes virtuoses Arthur Ancelle et Ludmila Berlinskaïa à la Salle Rossini de la mairie près de Drouot.

Programmée au lendemain de la sortie du biopic Bolero d’Anne Fontaine au cinéma avec Raphaël Personnaz comme acteur principal et en plein procès pour les droits du Bolero au tribunal de Nanterre, toute la cérémonie à été délicatement pensée pour honorer la mémoire du célèbre compositeur. « Les caractères rectilignes du “M” et du “R” sont un clin d’œil au monogramme choisi par Maurice Ravel pour sa correspondance et pour ses partitions imprimées», précise Manuel Cornejo devant le grand portrait en noir et blanc du compositeur.

En février dernier, pour faire revenir le Bolero dans le droit privé et donc continuer à en toucher des droits jusqu’en 2051, l’avocat de son héritière Évelyne Pen de Castel et de la succession Maurice Ravel a martelé aux juges que Maurice Ravel n’avait pas composé seul le Bolero mais avec l’aide du décorateur Alexandre Benois et de la chorégraphe Bronislava Nijinska. La décision des juges est attendue pour fin juin. Les membres de la Succession Ravel dont Evelyne Pen de Castel et Jean-Manuel Scarano brillaient par leur absence à cette joyeuse cérémonie.

(*) “Maurice Ravel, L’intégrale : Correspondance (1895-1937) écrits et entretiens”, Manuel Cornejo (éd.), Le Passeur Éditeur, 2018, 1840 pages.

(**) “Mais qui a tué le Bolero de Ravel”, série passionnante de neuf épisodes à regarder sur YouTube