Frank Darcel a été retrouvé mort sur une plage en Espagne, jeudi 14 mars 2024. Nous remettons en avant cet article datant du 15 septembre 2017.

Marquis de Sade. Il fallait oser, à la fin des années 70, baptiser un groupe de rock par le nom d’un écrivain aussi sulfureux que celui de l’auteur de Justine . Et pourtant, Frank Darcel et ses comparses l’ont fait. Et ils ont réussi à en faire l’une des figures majeures de l’histoire du rock français. Marquis de Sade a fait souffler un vent nouveau sur la scène musicale hexagonale. Plus de trente-six ans après leur séparation, le groupe s’est reformé pour un concert exceptionnel, samedi 16 septembre 2017, à Rennes. Les tickets ont été vendus depuis des mois. Sans publicité et sans promotion.

Artiste protéiforme, Frank Darcel, 65 ans, était avec le chanteur Philippe Pascal le cœur de ce groupe. Musicien, écrivain, historien musical et même homme politique engagé dans le Parti breton, un mouvement autonomiste, non violent, qui l’a quand même propulsé comme conseiller politique à la mairie de Rennes. Mais son engagement militant pour la Bretagne, à laquelle il est viscéralement attaché, ne lui a jamais fait oublier son amour de la musique.

L’idée de reformer un groupe tant d’années après son arrêt est toujours un pari un peu fou, surtout quand il s’agit de reprendre les membres originels, dont certains n’ont plus joué depuis des lustres… L’un d’eux est même devenu un cadre de la Pénitentiaire en Bretagne… «On s’est retrouvé en 2014 avec Philippe Pascal», expliquait le guitariste, à l’occasion de la venue à Rennes de Pascal Obispo et d’Étienne Daho. Et pour cause, les deux stars ont gravité autour de Marquis de Sade à leurs débuts. L’idée de refaire un concert unique avait commence à germer dans les esprits. Des répétitions sont programmées. «Ce n’était pas évident au début. Il a fallu réapprendre pas mal de choses», confiait Darcel. Qu’importe, l’esprit était demeuré intact.

Monter son groupe, pour des ados, c’est classiquement rock. Nous sommes en 1977, le punk fait souffler un vent nouveau sur la musique. «Avec le punk, tout devenait possible. Il suffisait de prendre une guitare. Ça a été la remise à zéro de toute la musique», analysait Frank Darcel. Mais pour véritablement exister, il fallait avoir quelque chose à dire, quelque chose à jouer. C’était le cas de Marquis de Sade. Les Rennais apportaient quelque chose en plus: un style, un son, un univers. Marquis de Sade a tout de suite marqué les esprits. Il n’existait pas depuis quelques mois que le nom était déjà connu, d’abord en Bretagne puis dans le reste du pays. La réputation était aussi due à son chanteur charismatique, doté d’un jeu scénique qui mêle aux gestes saccadés la figure d’une pantomime hallucinée.

Frank Darcel composait et assurait la direction musicale de l’ensemble. Rien ne le prédestinait à une carrière musicale. Fils de médecin, il s’apprêtait, sans grand enthousiasme, à emprunter la voie paternelle. Mais il ne se réveille pas pour un examen vital pour son passage en troisième année. «L’acte manqué parfait», résume-t-il. Il prend ce prétexte pour abandonner la carrière médicale et se concentrer sur la musique.

«Très vite, on a envie de ne pas en rester à un punk rock classique. Dès 1978, j’essaie de trouver un son de guitare différent», lancait-il. En novembre, les premières maquettes en vue d’un album commencaient déjà à laisser entrevoir l’influence d’un passage de plusieurs mois par New York. Les textes très personnels de Philippe Pascal compléteront l’ensemble. «Là, on a su que nous avions un son à nous.» En 1979, le premier album est enregistré. Les concerts s’enchaînent. Une participation à l’émission rock phare de l’époque, «Chorus» d’Antoine de Caunes, marque les esprits. Le groupe s’y produit avec, en première partie, The Cure…

Mais dès la sortie du premier album, les ferments de division se font sentir. Frank Darcel, influencé par le groupe américain Talking Heads et Joy Division, se dirige vers une musique plus dansante, moins noire que ne l’est le premier album. Et de fait, le second album, Rue de Siam, fait déjà sentir une évolution en ce sens. Une divergence avec Philippe Pascal qui mettra fin à la destinée du groupe, dès 1981. Mais Frank Darcel ne s’arrête pas là. Il fonde aussitôt un autre groupe, Octobre, avec qui il réalisera deux albums et continuera de tourner un peu partout en France. Un jeune chanteur commence à pointer le bout de son micro dans cette scène rennaise: Étienne Daho. Darcel réalise les premiers albums et collectionnera même quelques succès dont le titre Tombé pour la France, en 1985. Il réitérera l’expérience avec un autre jeune musicien, Pascal Obispo. Ils joueront même dans un groupe (Senso). Là aussi, Darcel est derrière à ses débuts. «J’ai tout de suite senti qu’il avait quelque chose.»

C’est alors que dans les années 90 il est contacté par une maison de disques portugaise qui lui demande s’il veut bien produire un groupe local. Il se rend à Lisbonne en famille, tombe amoureux de la ville et de ses habitants. Il y connaîtra le succès en produisant groupes et chanteurs. Il y restera presque dix ans. En 2000, il revient en France. Et, alors qu’il réalise un album d’Alan Stivell en studio, une alarme d’incendie lui explose les tympans: ce qui lui vaut de vivre avec des acouphènes persistants. Pendant près de cinq ans, il ne touchera plus à ses guitares et se tiendra même éloigné de toute musique. Il en profite pour écrire deux romans, avec un succès plus critique que commercial. C’est aussi à ce moment-là qu’il s’investit en politique. À la mairie de Rennes, comme conseiller politique du Parti breton, dont il est un des dirigeants. Il écrit aussi l’histoire du rock en Bretagne.

Finalement, il réussit à dompter ses acouphènes. Et, à 52 ans, il remonte un nouveau groupe au nom prédestiné: Republik. Avec deux albums du groupe, une nouvelle aventure musicale commencait. Il y tenait la guitare et chante. Avec sa voix à la fois douce et puissante, ses compositions raffinées, il incarnait le passé et l’avenir du rock en Bretagne. Et sans doute aussi en France.

1958 Naissance à Loudéac (Côtes-d’Armor).

1977 Fonde avec Philippe Pascal le groupe Marquis de Sade.

1984 Après la dissolution du groupe, en 1981, réalise l’album La notte, la notte d’Étienne Daho.

2005 Publie son premier roman,Le Dériveur (Flammarion).

2014 Se présente sur une liste autonomiste bretonne à la mairie de Rennes.

2017Marquis de Sade renaît pour un concert à Rennes, le 16 septembre.

2024 Décès à 65 ans. Frank Darcel a été retrouvé mort sur une plage de Galice