Les «Cathares» seront à partir du 5 avril au cœur d’une grande exposition à Toulouse mais les guillemets choisis par les organisateurs ont leur importance, le terme lui-même comme ce qu’il recouvre divisant aujourd’hui profondément les historiens. Avec pour sous-titre «Toulouse dans la croisade», cette exposition phare de l’année culturelle dans la ville rose proposera plus de 300 objets (archives, pièces archéologiques, reconstitutions, etc.) retraçant la croisade lancée dans le Midi de la France au début du XIIIe siècle par le pape Innocent III, tout en faisant le point sur les débats historiques autour de «l’hérésie cathare». «Nous sommes soucieux de valoriser l’identité de la ville, celle de la région et clairement les Cathares participent de cette identité», affirme le maire-adjoint en charge des musées, Pierre Esplugas-Labatut, pointant avec malice au titre des «traces» de cette identité cathare le «réflexe un petit peu anti-jacobin» des Toulousains, «de rébellion par rapport à la capitale». Pour la commissaire de l’exposition, Laure Barthet, la période est en tout cas «fascinante parce qu’elle mêle tous les ingrédients dont se sont d’ailleurs saisis artistes et auteurs, notamment dans la pop culture: c’est l’histoire d’une croisade avec des rebondissements militaires dignes de Game of Thrones, c’est aussi dans sa caricature la lutte d’une communauté persécutée contre un pouvoir aveugle et sourd, celui de l’Inquisition et du roi de France». La croisade est au cœur de la première partie du parcours, au Musée Saint-Raymond, vaste bâtisse du XVIe siècle à deux pas de la basilique Saint-Sernin, l’un des monuments emblématiques de Toulouse.
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Le visiteur s’y plonge dans cette expédition militaire menée de 1208 à 1229, découvre ses protagonistes grâce à un dispositif numérique ainsi qu’une dizaine de boucliers portant leurs armoiries, ou pénètre dans la vie de la Toulouse médiévale, trois fois assiégée mais jamais prise entre 1211 et 1219. Il faut parcourir quelques centaines de mètres dans le centre historique toulousain, non loin du Capitole, pour rejoindre le deuxième chapitre de l’exposition, au Couvent des Jacobins, construit dans la deuxième moitié du 13e siècle et donc quasi-contemporain de l’histoire qui s’y raconte. Et là, insiste Laure Barthet, «il faut garder l’esprit ouvert». Car ce deuxième volet expose les avancées de la recherche historique de ces vingt dernières années, venue battre en brèche certaines idées établies. Il faut savoir que le terme «cathares» n’a en fait jamais été utilisé dans le Midi à l’époque médiévale. Ce «mot-valise» s’est «imposé seulement parce que certains historiens l’ont choisi» au XIXe siècle, explique Laure Barthet dont l’exposition retrace la création du mot. Quant à l’existence de l’hérésie elle-même, elle est aujourd’hui remise en cause par une majorité d’historiens. «Le mot hérésie a été utilisé comme prétexte», explique Alessia Trivellone, enseignante-chercheuse au Centre d’études médiévales de l’université de Montpellier 3, qui pointe la volonté d’un «meilleur contrôle» religieux de ce territoire «par le pape et les cisterciens», puis son désir d’«annexion» par le roi de France. «Les sources sont trop biaisées pour être considérées comme des preuves certaines de l’existence de communautés hérétiques dans le Midi», juge-t-elle. D’autres persistent à voir l’existence d’une «véritable dissidence chrétienne médiévale» avec «son propre clergé» dans le Midi de la France, comme l’historienne Pilar Jimenez, auteur de la thèse, «Les catharismes, modèles dissidents du christianisme médiéval», qui regrette «une lecture sélective des sources» par ses collègues. Alessia Trivellone et Pilar Jimenez apparaissent toutes deux au catalogue de l’exposition qui, organisée par un «musée de France, institution neutre et scientifique» entend «poser les termes» d’un débat devenu très sensible, sans le trancher, selon Laure Barthet.
En fin de visite, une lumineuse animation 3D permet de découvrir les châteaux de l’ouest de l’Occitanie que tout le monde appelle «cathares». Comme un symbole résumant les raccourcis que prend décidément parfois le récit historique: loin d’être cathares, ces forteresses sont en fait l’œuvre du roi de France, signes de sa victoire finale et de sa mainmise sur ce territoire jadis désigné comme «hérétique».