Alors que le Centre Pompidou est en pleine réflexion sur son avenir et se trouve à un an d’une longue période de fermeture pour travaux, la Cour des comptes publie un rapport très critique sur sa gestion. «Gouvernance interne qui n’apparaît pas en adéquation avec l’ampleur des projets», modèle économique et de financement «difficilement soutenable», le tout sur fond d’absence de réforme dans la gestion des ressources humaines: les griefs des magistrats, assortis d’une montagne de chiffres, donnent l’image d’un centre culturel plein de failles.
Les immenses travaux, prévus entre 2025 et 2030, seront largement pris en charge par l’État (pour un montant estimé par la Cour à 358 millions d’euros). Mais Laurent Le Bon, président du centre, souhaite aller plus loin, avec un projet culturel baptisé Moviment (nouvelle agora, exploitation du niveau moins 1 et de la terrasse, réorganisation des collections…). Moviment est estimé à un montant de 180 millions d’euros, que le président se propose de trouver lui-même, auprès de mécènes et de partenaires étrangers. En février, ce dernier expliquait avoir déjà trouvé 60 millions d’euros et avoir «divisé en plusieurs blocs fonctionnels» son projet. «D’ici à fin 2025, nous essaierons de trouver le maximum d’argent. Si l’intégralité est trouvée, l’ensemble du projet sera réalisé. Sinon, nous ferons bloc par bloc, avec une priorité pour la bibliothèque – dont les 20 millions d’euros sont déjà financés – et l’Agora, symbole du changement», expliquait-il.
Tout cela est «est insuffisamment piloté et le financement n’est pas assuré», tranchent en retour les magistrats de la Cour des comptes, pour qui «il manque 169 millions d’euros pour lancer les travaux». Selon eux, il reste peu de temps pour les réunir, si Laurent le Bon et ses équipes veulent être dans les clous pour le lancement des marchés publics.
En marge de ces travaux titanesques décidés et approuvés en haut lieu, Beaubourg a lancé la construction d’un nouveau lieu de réserves, le Centre Pompidou francilien. Situé à Massy (Essonne), il sera autant un lieu d’expositions que de conservation des 122.000 œuvres du Musée national d’art moderne et du Musée national Picasso. «Son coût a fortement dérapé, peut-on lire dans le rapport. Dans le cadre d’un marché de partenariat public-privé, des dépassements importants des estimations initiales ont eu lieu en raison de la sous-évaluation de certains postes de dépenses et du contexte inflationniste». Résultat, Massy devrait représenter «plus de 254 millions d’euros», en partie pris en charge par les collectivités.
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Voilà pour les grandes dépenses, qui interviennent dans un contexte où la fréquentation est étale, la crise sanitaire n’ayant rien arrangé. Avec une part de visiteurs étrangers relativement faible (36%) comparée aux autres grands musées (57 à 70%), le Centre Pompidou ne semble pas bien armé, aux yeux des magistrats, pour augmenter ses ressources propres. Des partenariats passés à l’étranger (Malaga, Shanghai, Bruxelles, bientôt Séoul et l’Arabie saoudite) ont tout de même assuré des rentrées de 16 millions d’euros en 2023. «La question du droit d’entrée aura vocation à être examinée dans la perspective de la réouverture en 2030», suggèrent les magistrats.
Pour faire bonne mesure, la Cour s’attaque également à la gestion du personnel du centre (1000 emplois). Dans son précédent rapport, datant de 2014, elle faisait état «de la nécessité de moderniser la gestion des ressources humaines de l’établissement». Or, «près de dix ans plus tard, force est de constater qu’aucune réforme structurelle n’a été menée dans ce domaine», remarque-t-elle. Statut des personnels, organisation de la durée du travail des agents postés (dont les gardiens de salle), modalité de la conduite du dialogue social… «Le statu quo n’apparaît plus tenable», affirme la cour. Les grandes grèves qui ont secoué Beaubourg pendant 23 jours, fin 2023, semblent leur donner raison. La modernisation doit devenir une priorité, et la fermeture, une opportunité pour «rattraper le retard», concluent les magistrats.