Le western de Viggo Mortensen n’a qu’un seul défaut, et le scénariste-réalisateur-acteur n’est pas à blâmer: son titre français. Jusqu’au bout du monde a beau avoir déjà servi pour un film de Wim Wenders, il est tarte et terne. Le titre original a au contraire du caractère: The Dead Don’t Hurt. L’allitération claque et fait sens. La traduction française pourrait être «les morts ne souffrent pas». Le récit s’ouvre par l’image d’une femme gisant dans son lit. Un homme la veille tendrement. Il est vivant et inconsolable. «Élégie pour un cow-boy» aurait pu aussi servir de titre. Un voile mélancolique couvre les flash-back qui remontent le fil d’une histoire d’amour et de mort.

L’Ouest américain des années 1860 est une terre d’aventure et de romance. Holger Olsen, immigré d’origine danoise, séduit Vivienne Le Coudy (Vicky Krieps), Québécoise un peu farouche. À moins que ce ne soit l’inverse. Il la convainc de le suivre dans le Nevada. Une bicoque en bois isolée dans une vallée aride devient leur nid d’amour.

Ils se rendent parfois en ville. Après bien d’autres cinéastes (Sergio Leone dans Il était une fois dans l’Ouest, Robert Altman dans John McCabe), Mortensen la filme comme un décor de cinéma, le dernier clou à peine planté, dans un paysage sauvage. Il est peuplé de personnages qui sont autant d’archétypes. Le maire corrompu. Le propriétaire terrien omnipotent et son fils bon à rien sinon à semer la terreur. Une vraie brute. Entre deux saloperies, le jeune homme se soûle au saloon, où Vivienne prend un boulot de barmaid. Les travaux d’Olsen comme charpentier ne suffisent pas à faire vivre le ménage. À tel point qu’Olsen décide de s’engager quand éclate la guerre de Sécession, dans l’espoir de revenir entier avec sa solde de soldat.

Vivienne reste seule dans un environnement hostile. Un monde d’hommes. Elle paiera le prix de son indépendance. Elle paiera le prix d’être une femme. Jusqu’au bout du monde n’est pas un film bêtement féministe. Le western n’a pas attendu Viggo Mortensen pour mettre en scène des femmes puissantes – dès 1957, Samuel Fuller fait de Barbara Stanwyck la chef d’une bande de hors-la-loi dans Quarante tueurs. Vivienne n’est pas une cow-girl virile le colt à la main et le doigt sur la détente. Elle est une femme libre et forte confrontée à la violence masculine.

Vicky Krieps trouve ici son plus beau rôle depuis celui qui l’a révélée, dans Phantom Thread, de Paul Thomas Anderson. Mortensen, lui, a déjà prouvé que la panoplie de cow-boy (chapeau, cheval et fusil) lui allait bien. C’était dans Appaloosa, western signé aussi par un acteur en la personne d’Ed Harris. Les acteurs, nostalgiques de l’âge d’or hollywoodien, aiment le genre quand ils passent derrière la caméra, à l’instar de Clint Eastwood ou de Kevin Costner, très attendu au Festival de Cannes avec Horizon, premier volet d’une fresque sur les origines de l’Ouest américain.

Mais Mortensen emmène le western sur son terrain. Ou plutôt à sa façon, mélange de douceur et de révolte. Le retour d’Olsen de la guerre de Sécession annonce le temps de la vengeance. Il n’arrive pas forcément là où on l’attend. Il a les traits d’un enfant. Il est bouleversant.

“Jusqu’à la fin du monde”. Western de Viggo Mortensen. Avec Viggo Mortensen et Vicky Krieps. Durée : 2 h 09.

L’avis du Figaro: 3/4.