La République autoproclamée du Haut-Karabakh est exsangue, vidée d’une grande partie de sa population. Avec sa dissolution annoncée risque aussi de disparaître un pan du patrimoine culturel de ce territoire du Caucase considéré comme ancestral par les Arméniens. Plusieurs centaines d’églises, monastères et pierres tombales datant du XIe au XIXe siècle parsèment cette enclave montagneuse qui est partie intégrante de l’Azerbaïdjan depuis la fin de l’Empire russe mais qui a proclamé unilatéralement son indépendance en 1991 après l’effondrement de l’Union soviétique.

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Certaines comportent des spécificités, comme des absides à fond plat ou des cavaliers armés datant de la période mongole (XIII-XIVe siècle) représentés sur certains Khatchkars (croix en pierre sculptées), explique Patrick Donabédian, chercheur émérite au Laboratoire d’Archéologie Médiévale et Moderne en Méditerranée (LA3M).

Avec l’exode, et le départ notamment des prêtres du monastère de Dadivank supposément fondé aux premières heures de la chrétienté par Saint Dadi, l’incertitude pèse sur ce patrimoine. «Il n’arrivera pas autre chose à ces lieux symboliques arméniens que ce qui est arrivé ailleurs» en Azerbaïdjan et dans les zones reconquises par Bakou après la guerre de 2020, estime Hovhannes Guévorkian, le représentant du Haut-Karabakh en France.

À Bakou, l’église Saint Grégoire qui est inscrite au registre national des monuments historiques d’Azerbaïdjan, est fermée au public, ses grilles d’enceinte verrouillées et l’une de ses entrées barrée par l’extension de la terrasse d’un restaurant, a constaté une journaliste de l’AFP. De Gandja à Terter, dans ces villes de l’ouest situées aux portes de l’enclave disputée pendant des décennies, un voile d’amnésie semble avoir recouvert toute présence arménienne. Et dans le Haut-Karabakh, la cathédrale Saint-Sauveur, dite Ghazantchetsos, de Chouchi, ville considérée par Bakou comme sa capitale culturelle, reste figée dans un carcan d’échafaudages. Ailleurs, des bâches recouvrent des monuments arméniens.

Avec la capitulation des séparatistes, «les risques sont multiples», allant des dégradations à la destruction ou l’effacement d’inscriptions «dans le cadre d’une appropriation» de l’histoire, et menacent particulièrement les cimetières historiques et les églises de petits villages, estime Lori Khatchadourian, archéologue à l’université américaine de Cornell. Elle est la cofondatrice du Caucasus Heritage Watch, un projet qui s’appuie sur des images satellitaires pour documenter le patrimoine arménien dans le Haut-Karabakh et dans la région azérie du Nakhitchévan, près de la frontière avec l’Iran. Pas moins de 108 monastères, églises et cimetières arméniens médiévaux et modernes y ont été complètement détruits entre 1997 et 2011, selon les chercheurs, et sur le site de Djougha «la destruction s’est produite sur une décennie, pas du jour au lendemain», assure Lori Khatchadourian qui évoque un processus «lent et constant». Des données invérifiables sur le terrain car l’accès y est interdit ou strictement encadré par les autorités azerbaïdjanaises. Ces dernières dénoncent de leur côté la profanation ou dégradation de mosquées et sites musulmans qui étaient sous contrôle arménien.

Le sort de l’héritage arménien est d’autant plus en question que près de 700.000 Azerbaïdjanais qui avaient été déracinés lors du conflit des années 1990, peuvent désormais prétendre au retour dans le Haut-Karabakh. Le président Ilham Aliev a suggéré à plusieurs reprises ces dernières années que les Arméniens n’avaient aucune revendication historique sur la région, affirmant que «les mosquées et les églises sont nos trésors historiques».

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La cour internationale a rappelé en décembre 2021 à Bakou ses obligations par rapport à la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Sollicité par l’AFP sur ces questions, le ministère azerbaïdjanais de la Culture n’a pas répondu dans l’immédiat. Bakou a assuré depuis sa victoire militaire éclair du 20 septembre au Karabakh garantir l’égalité des droits et des libertés «quelle que soit l’appartenance ethnique, religieuse ou linguistique» de ceux qui resteraient.

Au-delà de l’architecture, c’est le patrimoine immatériel qui est aussi «inévitablement en péril», redoute Hovhannes Guévorkian. Les danses, les chants et les folklores mais aussi les dialectes du Haut-Karabakh «seront menacés de disparition avec le temps» parce que les «gardiens naturels de ces lieux de culture et de tradition» qui les transmettent de génération en génération, une fois séparés, transmettront peut-être encore à la génération suivante, mais après?