Jusqu’au dernier moment, le gouvernement a songé à l’annuler… Finalement, la première conférence sociale de l’ère Macron aura bien lieu ce lundi. Même si les événements au Proche-Orient puis l’attentat à Arras sont venus bousculer les agendas du gouvernement et les préoccupations des Français, jusqu’alors tournés vers la perte de leur pouvoir d’achat rogné par une valse des étiquettes qui ne semble pas vouloir s’arrêter.
Après un échange avec les partenaires sociaux et le chef de l’État, la première ministre a choisi de maintenir le calendrier initial. «Nous ne pouvons pas céder ni mettre le pays à l’arrêt face au terrorisme», a expliqué Élisabeth Borne à La Tribune Dimanche. Sept organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, Solidaires et Unsa) et trois patronales (Medef, U2P, CPME) se retrouvent donc ce lundi au Conseil économique, social et environnemental (Cese) à Paris. Ce rendez-vous est très attendu par tous depuis qu’il a été annoncé, par surprise, fin août, par le président de la République lui-même lors des Rencontres de Saint-Denis. Le sujet des bas salaires, qui doit occuper le cœur des discussions de cette journée, s’est hissé en première ligne de l’agenda social.
Particulièrement dans le viseur des syndicats, les branches professionnelles dont la grille des salaires compte durablement un ou plusieurs échelons au-dessous du smic. Un phénomène qui s’est accentué ces derniers mois avec l’envolée de l’inflation et donc du salaire minimum qui y est indexé. «Il a augmenté sept fois depuis le 1er janvier 2021, pour une hausse totale de 13,5 %», rappelle Gilbert Cette, professeur d’économie à Neoma. En conséquence, de nombreux niveaux de rémunérations, hier légèrement supérieurs à ce plancher légal, sont aujourd’hui au-dessous. Dans les faits, cela ne signifie pas que les salariés gagnent moins que le smic. Leur rémunération est, quoi qu’il en soit, égale au minimum légal. Le problème vient de l’effet de découragement et de déclassement provoqué par ce tassement au bas de l’échelle des salaires. Lorsque plusieurs échelons se retrouvent au smic ou proches de ce seuil, les employés qui montent un niveau voient leur rémunération stagner.
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Des mises à jour régulières sont donc nécessaires. Depuis août 2022, les branches ont jusqu’à 45 jours pour revaloriser leurs minimas, contre 90 jusqu’alors. Si nombre d’entre elles jouent le jeu, certaines sont moins volontaires. Le 22 septembre, en conférence de presse, la numéro un de la CFDT, Marylise Léon, n’a pas hésité à en citer quelqu’une, comme le caoutchouc «où il n’y a pas eu de modification depuis 1984», ou les laboratoires pharmaceutiques «qui ont toujours huit coefficients inférieurs au smic», critique-t-elle.
Pour inciter les entreprises à se montrer plus volontaires sur le sujet, l’intersyndicale appelle le gouvernement à dégainer une nouvelle arme: le conditionnement des exonérations de charges sociales. Concrètement, seuls les employeurs ayant mis à jour la grille pourraient y avoir droit. Le concept même est inconcevable pour le patronat. Le président du Medef, Patrick Martin, s’est dit «frontalement opposé» à cette idée lors d’une rencontre de l’Ajis, mardi dernier. «Les entreprises ont joué le jeu l’an dernier», abonde François Asselin, président du syndicat patronat des petites et moyennes entreprises (CPME), interrogé sur BFM. Il partage néanmoins les inquiétudes des syndicats sur le tassement des grilles. «La vraie question n’est pas tellement le pourcentage qu’on va mettre sur un salaire ou pas. La vraie question est […] qu’en France, avec 1 383 euros par mois nets […], c’est compliqué de vivre. Et que lorsque vous restez à ce niveau de salaire pendant dix ans, vous n’avez aucune perspective et c’est désespérant», se désole-t-il.
Les deux camps dos à dos, tous les regards sont donc tournés vers le gouvernement. Jusqu’alors, ce dernier a catégoriquement rejeté l’idée de conditionner les aides. Mais ces derniers jours, le ton aurait commencé à changer, assurent plusieurs leaders syndicaux, à l’issue de leurs entretiens à Matignon. «Il n’y a pas eu d’affirmation que ce n’était pas possible», soulève Frédéric Souillot, numéro un de FO. «On sent que la porte est ouverte», assure-t-on de la même façon dans l’entourage du président de la CFE-CGC, François Hommeril.
Dans l’entourage de la première ministre, on confirme que «c’est un sujet qui sera abordé demain» et que «rien n’est fermé pour aller vers un cadre plus contraignant (pour les entreprises, NDLR)».
Dans le cas contraire, la déception serait grande pour les représentants des salariés. Ce dossier étant le dernier susceptible de satisfaire l’intersyndicale après que le gouvernement a exclu les autres demandes comme celle d’indexer tous les salaires sur l’inflation.
Consciente des attentes, Élisabeth Borne a tenu à rappeler que l’exécutif n’était pas dans une volonté de «contraindre le patronat» à augmenter les salaires, mais plutôt à «inciter, impulser, suivre les avancées». Le tout en donnant certains gages aux syndicats, comme la création d’un Haut Conseil des rémunérations qui sera chargé de se pencher sur la question des trappes à bas salaires et de proposer des réponses.
De même, face à la demande des centrales de travailler sur la question des inégalités de salaires hommes-femmes, un atelier sur le sujet a été ajouté au programme de la journée. Élisabeth Borne propose en outre aux partenaires sociaux de lancer une concertation pour revoir l’index Pénicaud sur le sujet, qu’elle juge elle-même «perfectible». En parallèle, «il y aura d’autres annonces supplémentaires à l’issue de la journée», prévient-on à Matignon, sans donner plus de détails. Elles sont attendues: «La conférence sociale ne sera une réussite que si elle débouche sur du concret», a ainsi averti Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT.