Saisi par des associations et des particuliers, le juge des référés du Conseil d’État a tranché et ne suspend pas le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie. La Ligue des droits de l’Homme, la Quadrature du Net et trois habitants de Nouvelle-Calédonie avaient déposé un recours en référé-liberté le 17 mai, estimant que ce blocage, décidé par le gouvernement le 15 mai, portait une atteinte grave aux libertés de communication et d’information.
L’administration a jugé qu’ils n’apportaient pas assez de preuves démontrant que ce blocage a des conséquences immédiates et concrètes sur leur situation et leurs intérêts. Or, c’est une condition d’urgence nécessaire pour permettre l’intervention du juge des référés. «Dans cette affaire, les requérants se bornent à soutenir qu’il existe une atteinte aux libertés d’expression et de communication, mais n’apportent aucun élément justifiant de l’urgence», détaille ainsi, dans sa décision, le Conseil d’État.
Par ailleurs, le Conseil d’État a estimé que la suspension de TikTok est limitée à une situation exceptionnelle, qui «s’attache au rétablissement de la sécurité et de la tranquillité publiques.» Et d’ajouter que le gouvernement s’est «engagé à lever immédiatement ce blocage dès que les troubles auront cessé». Enfin, l’administration rappelle également que les autres moyens de «communication et d’information», ne sont, pour l’heure pas affectés.
Différents motifs pour lesquels le juge du référé du Conseil d’État a pris la décision, compte tenu de l’intérêt public que représente le retour de la sécurité en Nouvelle-Calédonie, de rejeter la demande de suspension de blocage de TikTok sur le territoire.
Pour les requérants toutefois, la décision inquiète. « En 2024, il est donc possible de couper un réseau social sur tout un territoire», a commenté dans un tweet La Quadrature du Net, l’association de défense des droits et des libertés sur internet, qui faisait partie des requérants. « Alors qu’il s’agit du moyen de communication principal d’une partie de la population, en l’occurrence la jeunesse, sans preuve ou raison apportée et que le Conseil d’État n’y voie rien d’urgent», poursuit l’association.
La Quadrature du Net estime même que le Conseil d’État valide en creux «le réflexe autoritaire de Macron et Attal de s’en prendre aux moyens de communication lors de moments de crise. L’état des considérations de nos institutions pour les libertés fondamentales est terrifiant», conclut-il. De son côté, l’avocat des requérants calédoniens fustige une décision «consternante qui n’est pas à la hauteur des enjeux. Au vu de l’utilisation du réseau social et du caractère sans précédent de cette mesure, il est impensable de considérer que l’urgence n’est pas caractérisée», a déclaré Maître Vincent Brengarth.
Lors d’une audience houleuse mardi, la représentante du gouvernement avait mis en avant «la forte adéquation» du profil et de l’âge des émeutiers avec ceux des utilisateurs de la plateforme, afin de justifier son blocage, qui doit durer jusqu’au retour au calme. Les requérants, eux, avaient unanimement dénoncé «l’absence d’éléments concrets qui prouvaient le lien présumé entre l’utilisation de TikTok et les violences», notamment des extraits de contenus issus du réseau social. Le juge des référés avait accordé un délai supplémentaire de 24 heures au gouvernement pour verser des preuves au dossier, par exemple des captures d’écran. Les associations avaient également pointé l’absence de fondement légal solide et le caractère disproportionné du blocage.
Ne pouvant recourir à la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, qui ne permet le blocage d’un site ou d’un réseau qu’en cas de provocation «à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie», le gouvernement s’est fondé sur la «théorie des circonstances exceptionnelles», jurisprudence permettant à l’administration de s’affranchir du droit en période de crise, dont l’usage a été validé par le Conseil d’État lors de la pandémie de Covid-19. Cette mesure d’interdiction du réseau social est également intervenue sur fond de crainte d’ingérences et de désinformation sur les réseaux sociaux de pays étrangers qui chercheraient à attiser les tensions, avaient encore justifié des sources gouvernementales et de sécurité, évoquant la Chine ou l’Azerbaïdjan.
Les violences ont causé, depuis le 13 mai, la mort de six personnes, dont deux gendarmes mobiles, ainsi que la destruction et le pillage de nombreux bâtiments et commerces. Un retour à la vie normale s’est amorcé dans le centre de Nouméa, quadrillé par une forte présence policière.