Vous parlez bien anglais, connaissez la culture web, avez de l’humour et souhaitez empocher 85.000 dollars ? Joe Biden a peut-être un poste à vous proposer. L’équipe de campagne du président américain chercherait, en vue de l’élection présidentielle le 5 novembre, un «faiseur de mèmes», ces publications déclinées en masse sur internet pour en faire des blagues virales.
Aux États-Unis, ces contenus sont devenus essentiels à la communication politique. Car, avec les réseaux sociaux, les mèmes deviennent rapidement des symboles à l’international et peuvent propulser sur le devant de la scène un élu américain. À l’instar du mème sur le sénateur du Vermont Bernie Sanders vêtu de ses moufles, lors de l’intronisation de Joe Biden en 2021. «Aux États-Unis, il y a une bataille de l’image au sens propre lors des élections et pour un homme politique, c’est nécessaire de prendre au sérieux les codes d’internet», souligne François Jost, professeur en sciences de l’information et de la communication, auteur du livre Est-ce que tu mèmes?.
D’après l’offre de poste publié fin mai et repérée par des médias américains, le candidat retenu dans l’équipe de campagne de Joe Biden aura différentes missions. Il devra entretenir de bonnes relations avec les principales sociétés de média en ligne, les créateurs de podcasts mais aussi les pages de mèmes. Il travaillera également en équipe pour identifier les meilleures «opportunités à saisir» pour communiquer avec les codes de l’humour sauce internet. La mission est rémunérée jusqu’à 85.000 dollars pour un an.
Maîtriser son image numérique est devenu un enjeu majeur. Une photo un peu détournée peut rapidement changer la réputation d’une personnalité publique. Joe Biden en a souvent fait les frais avec son rival Donald Trump et ses soutiens, qui maîtrisent très bien l’art du «troll» : cette pratique qui consiste à poster une publication sur internet pour susciter la polémique.
Ses adversaires républicains avaient par exemple détourné une photo de lui se penchant vers un journaliste pour mieux l’entendre lors d’une conférence de presse. «Sur la photo, il a les yeux clos et la figure penchée, les internautes en ont donc fait un mème laissant croire qu’il dormait», décrit François Jost. «C’est ce qui lui a valu ensuite le surnom de “Sleepy Joe’’ (Joe endormi) de la part de Donald Trump». Un sobriquet sans cesse réutilisé de façon humoristique dès que le président américain semble, sur un nouveau cliché, sur le point de somnoler. Ce qui vient appuyer l’idée, pour ses détracteurs, qu’il est désormais trop âgé pour diriger le pays.
Au-delà de l’aspect critique, «les mèmes peuvent donner lieu à des fake news en propageant des rumeurs à partir d’images détournées, dont on ne connaît plus l’origine», alerte François Jost. Les équipes de communication ont donc tout intérêt à reprendre rapidement le contrôle de ces publications satyriques diffusées sur la Toile.
Le mème «Dark Brandon» en est le parfait exemple. Cette image, qui représente l’actuel président américain avec des yeux rouges lançant des lasers, est issue de plusieurs théories conspirationnistes sur les réseaux sociaux. Mais son équipe a finalement réussi à se réapproprier ce symbole avec une idée simple : vendre du merchandising à l’effigie de ce mème sur le site de campagne du président et faire de ce Joe Biden aux yeux rouges, une sorte de superman. La stratégie s’avère être un succès. D’après les chiffres relayés par le média américain Tech Crunch, les produits dérivés de Dark Brandon représenteraient 54% du chiffre d’affaires total de la boutique de la campagne, selon Axios.
De son côté, Donald Trump n’est pas en reste. Sur sa boutique de campagne, son équipe a floqué, sur des Tee-shirts ou des tasses le mème «Never Surrender», littéralement «ne jamais se rendre». Le tout illustré par la photo judiciaire de l’ex président des États-Unis au moment de son arrestation à Atlanta.
Pour Joe Biden âgé de 81 ans et Donald Trump, 77 ans, c’est aussi une façon de rajeunir leur image auprès des électeurs et de prouver «qu’ils sont toujours dans le coup», souligne François Jost. C’est pour cette raison que le démocrate et son équipe ont ouvert en février un compte TikTok. Dans le pays, la plateforme chinoise totalise 170 millions d’utilisateurs, dont deux tiers sont des adolescents.
Joe Biden est suivi par 327.000 personnes sur ce compte. Les abonnés peuvent y voir ses soutiens reprendre les références humoristiques associées à son mandat. À l’instar de l’acteur Mark Hamill (alias Luke Skywalker dans Star Wars), arborant un masque à l’effigie du mème «Dark Brandon». Pourtant, c’est le même Joe Biden qui s’est montré très critique envers TikTok et a signé la loi obligeant la société chinoise ByteDance à vendre la plateforme d’ici neuf mois à une autre entreprise, sous peine d’être interdite aux États-Unis.
«Je pense que nous pouvons et nous devons intégrer des moments pertinents, tendance et amusants dans notre communication, en particulier sur les plateformes numériques», argumentait auprès de Tech Crunch, en février, Annie Wu Henry, spécialiste des médias sociaux et derrière les campagnes en ligne d’élus démocrates, comme Alexandria Ocasio-Cortez ou le sénateur John Fetterman. «Mais tout en faisant cela, nous devons continuer à être stratégiques, intentionnels et attentifs, même s’il s’agit d’un mème», concluait-elle alors. Reste à découvrir à quel camp profitera le plus cette stratégie.