Cette procédure complexe n’a jamais abouti depuis son introduction dans la Constitution en juillet 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Pourtant, lundi, le Conseil constitutionnel a reçu la proposition de loi de 252 députés et sénateurs de l’opposition pour un référendum d’initiative partagé (RIP).
Elle avait été déposée vendredi sur le bureau de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. La proposition prévoit que «l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans». Valérie Rabault, députée socialiste et signataire, résume l’enjeu: «Le RIP est le seul instrument qui peut imposer un référendum sans passer par le président de la République.»
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L’élue du Tarn-et-Garonne connaît bien le dossier pour avoir été à l’œuvre lors d’une première tentative de RIP, en 2019. Le texte qui dénonçait la privatisation d’Aéroport de Paris dans le cadre de la loi Pacte n’avait recueilli que 1,1 million de soutiens, loin du compte exigé: un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit aujourd’hui, quelque 4,9 millions de personnes dans un délai de neuf mois.
Des conditions raides. D’autant que pour sa première expérimentation, des bugs techniques en ligne ont été observés lors du recueil des signatures. L’État n’avait pas fait preuve d’une forte conviction pour y remédier.
Au départ, le RIP doit être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement. Cette première étape est donc atteinte. C’est ensuite au Conseil constitutionnel, composé de neuf sages dont Laurent Fabius à leur tête, de se prononcer sur sa recevabilité. Ceci devra être fait dans un délai d’un mois maximum, sachant que cela peut aller beaucoup plus vite.
Ici, l’affaire devient sensible. Selon l’article 11 de la Constitution, le RIP ne peut pas porter atteinte à une loi promulguée depuis moins d’un an. Si donc la loi sur la réforme des retraites est promulguée avant que les sages valident le RIP, les opposants porteurs de la proposition devront patienter un an avant de prétendre ouvrir le recueil des soutiens populaires. Autant dire, RIP le RIP.
Peut-on alors parler de course à l’échalote entre la majorité et ses opposants? Élisabeth Borne a en effet fait le choix de saisir directement le Conseil constitutionnel pour un examen du texte «dans les meilleurs délais». C’était chose faite mardi, selon une source du Conseil constitutionnel. La chef du gouvernement n’est pas tenue par ce passage chez les Sages. Mais des recours sur la constitutionnalité de la loi ont été déposés et des doutes sur ce point ont été raisonnablement émis. Il s’agissait donc de rendre la loi irréprochable.
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En revanche, la procédure d’urgence n’a pas été demandée. Elle aurait pu faire passer le délai maximal pour répondre de 1 mois à 8 jours. Les Sages, soucieux de leur indépendance et souveraineté, risquaient-ils de considérer comme un signe de pression politique cette prétention à une urgence pour un projet de loi de financement de la Sécurité sociale?
Le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier ne croit pas à la course. «Prétendre promulguer la loi avant le RIP éventuel serait une manœuvre grossière. Elle ne pourrait être couronnée de succès qu’à deux conditions: que Matignon engage l’urgence et que le Conseil revienne sur sa jurisprudence.» Il rappelle: «Ce qui a compté en 2019 c’est la date d’enregistrement de la saisine du Conseil constitutionnel par les porteurs du RIP.»
La Rue Montpensier indique que les Sages sont en train d’établir leur calendrier. Sans autre précision. Chez les soutiens à la réforme au sein de la majorité, on espère plutôt un rejet du RIP par les Sages sur le fond de leur proposition de loi.
Ce n’est pas parce que la procédure du RIP est déclenchée, qu’on ne peut promulguer la loi. Le ministre Olivier Dussopt a d’ailleurs indiqué que la loi sur les retraites «entrera en vigueur au 1er septembre 2023». Sans tenir compte du délai légal de neuf mois pour recueillir les signatures.
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«Si un RIP est enclenché et que des millions de Français le votent, ce sera intenable pour le gouvernement. Je n’imagine pas qu’il prenne ce risque», soutient Valérie Rabault. La députée PS rappelle que «sur la loi Pacte, avec ADP, il ne l’a pas pris! Le risque économique était certes différent, mais aujourd’hui le risque est d’être désavoué par les Français…»