«Nous avons dû investir dans des poubelles de tri de différentes couleurs afin de pouvoir stocker plus longtemps nos recyclables, qui se trouvaient avant dans des sacs cabas», explique Marie, 35 ans. Avec son mari et leurs deux adolescents, difficile d’attendre 15 jours entre chaque collecte d’ordures ménagères par sa collectivité. L’agente de service hospitalier s’est donc procuré trois poubelles de 25 litres, à 24,99 euros l’unité, «en fonction de la place dans notre cuisine». Désormais, c’est tout un pan de mur qui est occupé par ces trois poubelles bleue, jaune et verte.

Comme Marie, les Français s’équipent de plus en plus de poubelles. Il y a 5 ans, ils en détenaient en moyenne 3,8, contre 4,5 aujourd’hui, selon une étude de Brabantia parue en septembre dernier. Pour éviter l’encombrement de ces poubelles, les entreprises se sont adaptées pour créer des modèles «empilables», comme l’évoque Bruno Lecointre, directeur de marché chez Castorama : «Avec le même espace, on recherche quelque chose d’un peu plus restreint, donc on a développé des poubelles qui s’empilent.» Résultat, les particuliers disposent de plusieurs bacs pour réaliser leur tri sélectif, sans envahir leur cuisine de déchets. Les Français sont ainsi «76% à déclarer trier régulièrement leurs déchets et 96% de temps en temps», selon Pierre Bomme, responsable marketing de l’entreprise spécialisée dans l’art de vivre.

Si le tri sélectif a déjà transformé le marché des poubelles, c’est maintenant au tour des biodéchets de s’inviter dans la partie. Depuis le 1er janvier, chaque foyer est dans l’obligation de procéder au tri de ses déchets alimentaires afin qu’ils soient compostés et valorisés par les communes pour fertiliser les sols ou être transformés en gaz (méthane). Cette mesure s’inscrit dans la loi AGEC d’anti-gaspillage du 10 février 2020 et concerne les épluchures de fruits et légumes, le marc de café, les filtres et capsules biodégradables, les coquilles d’œufs, les restes de repas, les produits périmés non consommés ou encore les déchets verts. En tout, ces biodéchets représentent 30% des déchets non triés chaque année. Pour se mettre en conformité avec cette nouvelle loi, les acteurs du secteur ont repensé leurs offres de poubelles pour proposer également des composteurs.

C’est un marché en pleine croissance, avec «34% des Français qui compostent aujourd’hui leurs déchets systématiquement, contre 22% en 2017», relève Pierre Bomme. Brabantia a donc lancé il y a cinq ans l’un de ses modèles phares : la «Sort and Go» «liée au tri et au compost». Avec son design scandinave et un prix à partir de 18,75 euros les 3 litres, ce modèle s’affiche chez de nombreux revendeurs comme les Galeries Lafayette, le BHV ou les magasins de bricolage. «Il y a eu une hausse des ventes post-Covid et surtout durant le Covid», précise le responsable marketing. En plus de cette poubelle à bas prix, la marque a également développé un modèle «Bo», sur pieds, à partir de 40 euros les 4 litres. «On a voulu transformer l’image de la poubelle qui devient un meuble, insiste Pierre Bomme, car plus de 50% des Français pensent que la poubelle peut être un objet de décoration».

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Un constat que partage Cécile Biron, cheffe de produit chez Nature et découvertes : «La poubelle devient un élément de décoration à part entière, que l’on espère voir aussi pour les composteurs.» «Depuis un an, toute notre offre de compostage est en très forte croissance, à 60%, particulièrement depuis le dernier trimestre 2023 et la rentrée», se félicite-t-elle. La gamme du groupe oscille entre 24,95 euros et 359 euros. «Les frileux se dirigent vers les petits prix, les convaincus n’hésitent pas à mettre une centaine d’euros dans un composteur et les plus convaincus mettent le prix en fonction de leurs priorités», souligne Cécile Biron. Mais si ces solutions se répandent particulièrement dans les campagnes, «la clientèle urbaine est un peu moins au fait et a du mal à se projeter», observe la cheffe de produit.

Marie, qui habite dans la Meuse, reconnaît qu’il lui est difficile «de trier les déchets alimentaires en appartement». Faute de place, la famille «est obligée de continuer à jeter ses déchets dans la poubelle principale en attendant que la commune trouve une solution et fasse le nécessaire». Si certaines municipalités sont à la traîne, d’autres ont anticipé la nouvelle mesure de la loi AGEC depuis plusieurs années. À Orléans, la ville propose des composteurs gratuits depuis 20 ans, à placer dans son jardin. Pour ceux qui habitent dans des appartements, d’autres villes ont mis en place des subventions pour s’équiper collectivement ou à titre individuel. L’agglomération de Lorient propose par exemple une aide de 20 euros, tandis que la métropole d’Amiens rembourse ses habitants «à hauteur de 30 euros par foyer».

Ces subventions permettent de s’équiper d’un composteur classique ou d’un lombricomposteur, qui peut être placé chez soi. Derrière ce terme, se cache «une technique utilisée dans l’agriculture et adaptée aux particuliers», retrace Vincent Ducasse, cogérant de Terrestris. Concrètement, des vers digèrent vos biodéchets dans une boîte fermée et leurs déjections «permettent d’hygiéniser la matière» et de créer un fertilisant. «Ils fabriquent à la fois un compost solide et un engrais liquide, très puissant et très riche en nutrialiments», analyse Felicia Gruner, cofondatrice de Natuco. Les deux spécialistes se rejoignent sur un même point : «Contrairement au compostage classique, le lombricompostage ne dégage pas d’odeurs ni de moucherons.»

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Une solution vertueuse qui séduit de plus en plus de Français. «On a des augmentations de demandes pour les particuliers mais aussi de la part des collectivités pour les équiper», remonte Vincent Ducasse. Felicia Gruner observe aussi «un doublement» de ses ventes «depuis la fin de l’année dernière». Pourtant, ces lombricomposteurs produits et conçus en France ont un prix : à partir de 115 euros chez Terrestris et 324 euros pour Natuco. Pour faire baisser la facture, Vincent Ducasse recommande d’opter pour des lombricomposteurs collectifs, lorsque tous les résidents d’un même immeuble s’entendent : «le lombricompostage en pied d’immeuble coûte environ 10 fois moins cher à la tonne de déchets retraités que les solutions en appartement.»

S’il vous faut encore du temps pour accepter d’introduire des vers chez vous, l’État a choisi de poursuivre «son accompagnement» et ne compte pas encore «sanctionner les collectivités à court terme». Pour les particuliers, «comme pour les autres déchets, ils resteront soumis aux règles édictées par leur collectivité», précise le ministère de l’Écologie. Mieux vaut donc vérifier régulièrement les règles mises en place par vos communes afin d’éviter les futures sanctions. Une fois appliquées, les amendes s’élèveront à 35 euros si vous payez dans les 45 jours et pourront grimper jusqu’à 150 euros en cas de non-paiement. De quoi glisser doucement vers des solutions plus vertueuses pour l’environnement, mais peut-être pas pour votre porte-monnaie.