Le premier TGV mis en service en Californie sera allemand. Siemens Mobility, filiale ferroviaire du conglomérat industriel allemand, a remporté l’appel d’offres, pour fournir une flotte de 10 rames, qui circuleront sur un tronçon de 350 km reliant Los Angeles et Las Vegas, à partir de 2028, pour les JO d’été aux États-Unis, a annoncé la société américaine BrightLine, concepteur de ce projet financé par des capitaux privés. Siemens Mobility gagne ainsi son tout premier contrat dans la grande vitesse outre-Atlantique.
«Nous sommes ravis de travailler avec Brightline pour transformer le rail en Amérique. Le chapitre de la grande vitesse dans l’histoire ferroviaire américaine s’appuiera sur 40 années de conception, de construction, de test, de livraison et d’entretien de trains aux États-Unis», déclare Marc Buncher, PDG de Siemens Mobility North America, qui emploie 4 500 personnes. De son côté, Alstom, seul autre candidat en lice, a pris acte de la décision, non sans regret. «Nous sommes déçus par la décision prise par Brightline concernant ce projet ambitieux», souligne le groupe français.
Ce dernier rappelle qu’«Alstom était le seul constructeur prêt à construire tous ces trains entièrement aux États-Unis» dans son site d’Hornell, dans l’état de New York, qui est la «plus grande usine de fabrication de matériels ferroviaires des États-Unis». Cela, «avec des travailleurs syndiqués ». «Nous avons investi des dizaines de millions de dollars dans le développement de la capacité de fabrication et d’une chaîne d’approvisionnement américaines pour les trains à grande vitesse, qui s’étend sur plus de 20 États», souligne Alstom, qui emploie 4 500 personnes aux États-Unis et dont l’activité contribue «à hauteur de 707 millions de dollars au PIB américain».
Alstom avait proposé une version dérivée de l’Avelia Liberty, des TGV qui utilisent la même base technologique que les nouveaux TGV M français, tous construits à Hornell. Et qui auraient répondu à 95% au Buy American Act, la législation américaine, qui oblige à se fournir auprès de l’industrie américaine. Or, souligne un proche du dossier, «Siemens Mobility a déposé une demande de dérogation au Buy American Actn pour construire en Allemagne, les deux premiers exemplaires de ses trains (sur les dix à fournir)», baptisé American Pionneer (AP) 220. Ces derniers sont des dérivés de son train à grande vitesse Velaro, déjà en service en Europe, notamment en Allemagne et en Espagne, mais aussi en Turquie et en Chine.
Conçu pour rouler à des vitesses maximales de 220 miles par heure (321,8 km/heure), l’AP220 revendique un système de traction électrique de nouvelle génération, un poids plume, des voitures «ultra-larges», permettant un aménagement offrant aux passagers un «confort passager inégalé» et «une accessibilité des clients en fauteuil roulant dépassant les exigences de l’Ada», la législation américaine sur l’inclusivité des personnes handicapées.
Chaque train, composé de sept voitures, aura la capacité d’embarquer entre 434 et 450 passagers, en fonction de la configuration retenue. Siemens promet un temps de trajet de moins de deux heures entre Rancho Cucamonga, municipalité du comté de San Bernardino, située à quelque 71 km de Los Angeles, et la capitale du divertissement du Nevada, contre plus de quatre heures en voiture.
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Le groupe allemand s’est engagé à construire une usine aux États-Unis pour y assembler l’AP220 et à sélectionner des sous-traitants américains pour participer à sa fabrication. La localisation du site sera annoncée, une fois que le contrat sera définitivement signé. Car pour l’heure, la sélection de Siemens Mobility est «soumise à la conclusion d’accords définitifs basés sur le respect de critères» tels que le prix (à ce stade non communiqué, NDLR), le calendrier de fabrication, les performances, la capacité et l’accessibilité des trains qui devront se conformer à la législation Ada, ainsi que l’interopérabilité avec la California High-speed Rail, la future ligne TGV, qui doit relier Los Angeles à San Francisco.
Ce projet, financé sur fonds publics, fait l’objet d’un appel d’offres, dont le vainqueur doit être désigné fin 2024. La California High-Speed rail Authority (CHSRA), l’autorité locale chargée du projet, a retenu les projets de Siemens Mobility et d’Alstom l’an dernier. La CHSRA a, depuis, demandé aux deux constructeurs de peaufiner leur offre sur le plan technique et financier et de lui remettre leur proposition finale d’ici à l’automne prochain. Le constructeur retenu devra fournir six rames, dans le cadre de la phase 1 de ce vaste programme, en vue d’une entrée en service à horizon 2030.
Les TGV empruntant cette future ligne TGV du «Golden State», devront être capables de rouler à une vitesse maximale de 220 miles par heure (354 km/heure), soit plus vite que les actuels TGV français ou que le Shinkansen japonais. Il a déjà été décidé que l’exploitation de cette ligne de 600 km reliant les deux mégalopoles en 2H40, serait sous-traitée à la Deutsche Bahn, la SNCF allemande, sans que cela préjuge de la décision finale sur le choix du constructeur et ne donne un avantage à Siemens Mobility, assure en substance Tom Richards, le président de l’autorité californienne.
Alstom a donc perdu la première bataille de Californie mais pas la guerre. Le groupe français conserve toutes ses chances pour ce contrat géant, dont le montant total pour l’achat du matériel roulant est estimé à 12 milliards d’euros. Le Français y concourt avec l’Avelia Liberty, le nouveau TGV qui équipera l’Acela Express, la ligne grande vitesse reliant Boston à Washington, via New York et Philadelphie, sur la côte est. Alstom avait en effet été sélectionné par Amtrak, la SNCF américaine, en 2016, pour moderniser le matériel roulant de la première ligne TGV américaine. Les trois quarts des trains ont déjà été construits tandis que se déroule en parallèle le processus de certification des trains. La mise en service des premières rames, prévue initialement en 2021, a pris du retard pour plusieurs raisons : notamment la crise du Covid 19, qui a ralenti le projet, mais surtout des changements des critères dans l’homologation des nouveaux trains (règle Tier III, NDLR), décidés par la Federal Rail Administration, l’autorité en charge de la sécurité du rail. Il s’agira des premiers TGV «Made in The USA» construits et certifiés aux États-Unis.
De son côté, le projet de TGV entre Los Angeles et San Francisco, considérée comme la «voie royale» entre les deux mégalopoles, a connu bien des péripéties depuis 1996, année de son lancement. Des discussions sans fin ont opposé les localités situées sur le tracé de la ligne, compliqué par l’urbanisation très dense des deux villes. Le projet a aussi connu des contretemps politiques. Il a été gelé par Donald Trump pendant sa présidence puis réactivé par Joe Biden, dans le cadre de la relance du ferroviaire, avec l’attribution d’une subvention de 3,1 milliards de dollars en décembre 2023. Une goutte d’eau compte tenu du montant du budget prévisionnel (construction des infrastructures, des nouvelles gares et achat du matériel roulant) qui a explosé au fil des années, à 128 milliards de dollars…
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