Alors qu’une grève des contrôleurs de la SNCF perturbe fortement le trafic des TGV et autres Intercités en ce week-end de chassé-croisé des vacances d’hiver, l’Italie est regardée par certains avec envie de ce côté-ci des Alpes. Destinée à encadrer le droit de grève dans les transports sur des périodes particulières comme les vacances scolaires, une proposition de loi déposée par des sénateurs centristes cette semaine s’inspire largement du modèle transalpin. Car dans la Botte, une situation telle qu’on la vit ce week-end en France serait impossible.

En Italie, en effet, «le droit de grève est inscrit dans la Constitution, comme en France, mais est limité par la loi n°146 de 1990 », explique maître Aldo Sevino, avocat au barreau de Lyon et de Turin. Une décision qui résulte d’une «mise en équilibre du droit de grève et de droit à la mobilité des citoyens».

Concrètement, dans la péninsule italienne, les salariés des transports ne peuvent pas faire grève pendant les périodes de fort trafic, c’est-à-dire les vacances de Noël, de Pâques et de la Toussaint, les congés estivaux et les élections nationales ou locales. Ces moments de trêve sont clairement délimités : du 17 décembre au 7 janvier, du 27 juin au 4 juillet, du 28 juillet au 3 septembre et du 30 octobre au 5 novembre ; cinq jours avant et après Pâques ; les trois jours qui précèdent, suivent et ceux qui coïncident avec les élections nationales, européennes, régionales, administratives générales et les référendums ; le jour précédent, le jour suivant et ceux qui coïncident avec des élections et des référendums locaux.

Outre ces interdictions temporelles formelles, le droit de grève des services jugés essentiels (santé, sécurité, mobilité, éducation, médias) est bien plus encadré. Un préavis doit être déposé dix jours minimum avant le début de la mobilisation – contre cinq en France -, y compris pour les entreprises privées. De plus, avant l’annonce d’une grève, les discussions doivent être engagées entre les syndicats et les entités exerçant des services publics, afin de trouver si possible un consensus sans impacter les usagers. Ainsi, avocats, pharmaciens et autres professionnels de services publics jugés essentiels ne peuvent faire grève pendant les périodes définies.

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«L’intention du législateur italien en réglementant le droit de grève était, en un mot, de réglementer son exercice de manière que le coût des revendications sociales des travailleurs ne soit pas répercuté sur la collectivité», analyse maître Sevino. En d’autres termes, Rome a trouvé un certain équilibre entre la protection du droit de grève, la défense de la liberté de circulation et le maintien de l’activité économique. Ainsi, le droit italien donne la priorité à la mobilité publique sur les revendications salariales, préservant la possibilité pour tous de se déplacer pendant les périodes des traditionnelles réunions familiales. Une hiérarchie politiquement impensable en France, ironise l’avocat.

Pour autant, il serait juridiquement possible de s’inspirer de l’exemple italien, estime l’expert. Le droit à la mobilité étant constitutionnel au même titre que le droit de grève, «une solution législative les équilibrant pourrait être envisagée». «Puisqu’il y a deux principes égaux, on pourrait en limiter temporairement un pour laisser l’autre s’exprimer», juge-t-il. Une analyse pas forcément partagée par tous les juristes, d’autres estimant qu’une interdiction absolue du droit de grève, quoique limitée à certaines plages de l’année, serait forcément retoquée par le Conseil constitutionnel

L’idée de restreindre le droit de grève pendant les vacances scolaires avait déjà été mise sur la table par des parlementaires à l’occasion de la grande grève de Noël à la SNCF fin 2022, mais n’avait pas reçu d’écho favorable au sein du gouvernement. À l’occasion de ce nouveau mouvement social à la SNCF, soutenu par une minorité de Français, l’exécutif semble faire preuve de plus d’ouverture. Le premier ministre Gabriel Attal a en effet encouragé mercredi le Parlement à s’emparer du débat sur le droit de grève. Un avis qui semble néanmoins peu partagé au sein de son gouvernement. Limiter le droit de grève des cheminots ? «Je ne souhaite pas qu’on en arrive là», a répondu le ministre des Transports Patrice Vergriete vendredi. «La question n’est pas le droit de grève, mais de savoir jusqu’où on n’en abuse pas», a lui estimé cette semaine le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu sur Sud Radio. Nul doute de toute manière que les syndicats seraient vent debout face à cette piste effleurant le sacro-saint droit de grève.

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