Elle est rouge vif, clignote, fait défiler des chiffres dans tous les sens. À première vue, difficile de comprendre le sens de cette œuvre. Les haut-parleurs disposés de part et d’autre de la pièce dans laquelle elle est exposée diffusant des discours climatosceptiques et des contre-arguments mettent sur la voie.
De fait, l’artiste chercheur Gaëtan Robillard, enseignant à l’école d’ingénieurs Imac-Esiee de l’université Gustave-Eiffel, située sur le campus de Marne-la-Vallée, veut avec cette exposition, intitulée «Critical Climate Machine», éclairer sur les mécanismes de désinformation sur le changement climatique.
La sculpture diffuse en temps réel des messages collectés sur le réseau social X (ex-Twitter). «Plus c’est rouge, plus ça chauffe et plus il y a de fake news», synthétise son auteur. Car chaque chiffre représente un type de message. «Je me suis approprié l’intelligence artificielle pour aider à la compréhension de ce flux impressionnant de données en ligne sur le climat diffusé sur les réseaux sociaux.» Aidé de chercheurs en sciences cognitives, il a entraîné une intelligence artificielle pour repérer et classifier ces informations.
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En se basant sur les comptes Twitter (à l’époque de sa conception en 2020) de plusieurs think-tanks américains appartenant à la mouvance climatosceptique, l’artiste chercheur a établi une taxonomie de 17 types de désinformation, auxquels il a attribué un code.«On peut les regrouper en cinq grandes catégories: le déni du changement climatique, le déni de son origine anthropique, le déni de sa gravité, le défaitisme (les mesures n’y changeront rien) et les attaques contre la science, considérée comme pas fiable», détaille Gaëtan Robillard, qui précise que les deux derniers types sont actuellement les plus représentés aux États-Unis.
Le dispositif sonore de l’œuvre a, lui, été réalisé en partenariat avec l’Ircam et des élèves d’un lycée et de l’université Gustave-Eiffel. Ces derniers ont en effet mis à contribution dans ce processus créatif en participant au Jeu de la réfutation, un jeu de cartes au cours duquel chacun doit identifier le type de désinformation lu dans la carte piochée et y répondre. Des dialogues contradictoires ont été ainsi élaborés et enregistrés avec leurs voix. «Cela m’a permis de renforcer mon esprit critique», témoigne Lætitia Ngaha, une des élèves qui a participé au projet, alors qu’elle était au lycée international de Noisy-le-Grand.
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L’installation, exposée depuis 2021 au Akbank Sanat d’Istanbul, au Centre d’art et de technologie des médias ZKM de Karlsruhe (Allemagne), à la 6e conférence sur l’adaptation au changement climatique de Dublin en 2023, au Palais de Tokyo, au Centre Pompidou, à la Biennale Experimenta de Grenoble ou encore, début 2024, à l’université Gustave-Eiffel, vise un large public.
Elle fait partie du projet MediaFutures, un pôle européen d’innovation rassemblant start-up, artistes et chercheurs utilisant les données pour lutter contre la désinformation et a reçu un financement du programme-cadre Horizon 2020 de l’Union européenne via un appel à projets. L’occasion rêvée pour le Breton Gaëtan Robillard, ancien postdoctorant à l’université de Laval au Canada, qui avait déjà notamment travaillé sur la modélisation mathématique des vagues, de «faire un pas vers les sciences cognitives liées aux médias».
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Nommée au prix Starts 2023, la Critical Climate Machine a remporté le British Computer Society (BCS) Futures Awards, décerné par le Lumen Prize for Art and Technology en octobre 2023.
Son auteur, qui dispose désormais d’une base de données de 90 000 messages, s’interroge sur l’opportunité de les publier pour permettre aux sciences sociales de les étudier. Ce qui soulève des questions éthiques d’anonymisation. Quant au Jeu de la réfutation, il vient de faire ses premiers pas en dehors de l’exposition, en étant prêté à une ludothèque. Un projet d’édition ouverte est en cours.
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