Des trains propulsés à la verticale, depuis le toit de la gare, directement dans un looping, avant d’enchaîner de nombreuses – et intenses – figures en zigzaguant dans un décor rappelant la Croatie… Voltron Nevera, la nouvelle montagne russe très attendue du parc d’attractions allemand Europa-Park, a déjà secoué 100.000 passagers une semaine après son inauguration, le 26 avril dernier. La file d’attente descend rarement sous les 60 minutes, remplie de visiteurs impatients de tester ce coaster unique au monde. Un investissement à plusieurs dizaines de millions d’euros (dont le montant exact est tenu secret) vital pour un parc qui, dans un secteur en plein essor, compte bien défendre sa place de numéro 2 européen.
À moins d’une heure de Strasbourg, perdu dans la campagne allemande entre le Rhin et la Forêt noire, Europa-Park attire près de 6 millions de visiteurs par an, deux fois plus que le Parc Astérix. Un exploit dans un marché européen des parcs de loisirs écrasé par le géant Disneyland Paris et ses 15 millions de visiteurs. Ici aussi, la mascotte (Ed Euromaus) est une souris, et elle n’a pas peur d’affronter Mickey. Élu huit fois meilleur parc de loisirs au monde, Europa-Park a vu sa fréquentation progresser de 40% depuis 2010. Il figure même dans le top 20 des parcs les plus fréquentés au monde, pourtant trusté par Disney et Universal. Décryptage d’un succès qui ne se dément pas.
Derrière Europa-Park, il y a une histoire familiale : celle des Mack. Des constructeurs de manèges installés depuis plus de deux siècles dans un village de la Forêt noire qui ont décidé, au début des années 1970, d’ouvrir un parc d’attractions qui servirait de showroom pour présenter leurs produits. Un voyage à Disney World en Floride en 1972 a été l’électrochoc pour Franz Mack et son fils, Roland, qui en ont rapporté quelques bonnes idées. Europa-Park ouvre à Rust, un petit village près de la frontière franco-allemande, en 1975. Le thème de l’Europe «s’est rapidement imposé, car nous étions au carrefour de trois pays, l’Allemagne, la France et la Suisse», se rappelle Roland Mack.
Le parc propose de déambuler à travers différentes zones thématiques reprenant chacune l’architecture et les clichés d’un pays du Vieux continent. Bien avant l’espace Schengen, les Mack font découvrir l’Europe sans frontières. Il s’agrandit au fil des ans, avec de nouveaux quartiers et surtout de nouvelles attractions uniques au monde. Montagnes russes tournoyantes, en forme de bobsleigh, qui terminent dans l’eau… Fidèle à l’idée d’origine d’être une vitrine de l’entreprise familiale de construction de manèges, Europa-Park présente de nombreux prototypes de nouveaux produits que compte commercialiser Mack Rides.
«C’est bien pour nos clients de pouvoir essayer avant de signer, souligne Roland Mack. Mais c’est aussi nous qui prenons tous les risques. Si ça ne fonctionne pas, on ne peut pas se retourner contre le constructeur !» Le dernier né des coasters du parc, Voltron Nevera, ne déroge pas à la règle puisqu’il s’agit d’un nouveau modèle. «Le rail qui vibre, la table tournante, les écrans… S’il y a autant d’effets spéciaux dans cette attraction, c’est surtout pour montrer aux potentiels clients tout ce qu’ils savent faire», analyse François Petit, président de Parcs Actus, une communauté de passionnés.
En près de 50 ans, Europa-Park a développé une impressionnante collection d’attractions à sensations (Blue Fire, Wodan, Silver Star…) mais aussi d’attractions familiales aux décors soignés (Arthur, Pirates de Batavia, Voletarium…), sans compter les dizaines d’activités pour les plus petits. Avec un billet d’entrée entre 61,50 euros et 69,50 euros pour un adulte (selon la date) pour une centaine d’activités, «le rapport qualité-prix est assez dingue», affirme François Petit. Et quand la plupart des parcs ont plutôt développé le côté familial ou les sensations, ici, «il y en a pour tous les goûts : les petits enfants comme les jeunes adultes comme les parents ont tous de quoi s’occuper», pointe Maxime Guény, rédacteur en chef de Parcs et loisirs magazine.
Europa-Park insiste beaucoup sur le côté familial, «car ce sont les familles qui rapportent le plus de chiffre d’affaires», décrypte François Petit. «Ils mangent, dépensent de l’argent dans les boutiques, prennent du temps pour un goûter…» Mais les grosses montagnes russes sont un rouage essentiel de la machine, un puissant outil marketing qui permet d’asseoir son image de mastodonte et d’attirer un public d’ados et de jeunes adultes. «Dans toutes les familles, il y a un ado qui va vouloir tester ses limites en montant dans le coaster, ça touche donc un public assez large finalement», relève Maxime Guény.
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Très tôt, bien avant ses concurrents, le parc a également développé une offre d’hôtels thématisés pour héberger ses visiteurs. «On en a besoin, car on n’est pas vraiment à côté d’une grande ville», souligne Roland Mack. Le premier ouvre en 1995 ; 30 ans plus tard, il y en a six, soit 5800 lits. Une stratégie qui a permis au parc d’élargir sa zone de chalandise en faisant venir ses visiteurs de plus loin, mais aussi de devenir une véritable destination, à mesure que le nombre d’attractions grandissait et qu’il devenait impossible de tout faire en un jour. Une ligne directe de TGV depuis Paris et Strasbourg, mise en place en 2022, doit également lui permettre d’attirer plus de Français, qui représentent déjà 19% de la clientèle du parc.
Pour conforter cette stratégie, Europa-Park a investi 180 millions d’euros en 2019 dans Rulantica, un parc à thème aquatique couvert, pouvant fonctionner toute l’année, accompagné d’un hôtel, à quelques centaines de mètres du parc historique. Il permet de compléter sa journée après la fermeture des attractions, ou même d’allonger un peu le séjour des visiteurs. «On veut proposer une offre de deux à trois jours pour les familles», acquiesce Roland Mack, qui dit vouloir «faire encore deux nouveaux hôtels à côté de Rulantica et l’agrandir». En 2022, le parc aquatique a accueilli 900.000 visiteurs, selon le Theme Index, qui comptabilise la fréquentation des sites de loisirs.
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De tels investissements «sont une prise de risque majeure», reconnaît le patriarche. «Mais on peut se le permettre car nous sommes une entreprise familiale. On ne réfléchit pas comme un actionnaire : on ne veut pas faire du profit mais faire grandir l’entreprise et pouvoir la transmettre aux générations futures.» Roland Mack, son frère Jürgen et leurs enfants respectifs Michael, Ann-Kathrin, Thomas et Frederik, sont tous associés dans la gestion de l’entreprise. «Au moins les décisions sont rapides, sourit Roland Mack. Mais il faut une organisation rigoureuse pour que ça ne parte pas dans tous les sens.»
La famille a su faire face dans les épreuves, comme les deux importants incendies qui ont touché le parc en 2018 et 2023, détruisant des attractions historiques, heureusement sans faire de victime. Des coups du sort – les deux incendies étaient accidentels – dont Europa-Park a su tirer parti : le quartier scandinave, détruit en 2018, a été reconstruit en à peine deux ans et la nouvelle version de l’attraction Pirates de Batavia est devenue l’une des meilleures du parc. Quant à la Grotte des diamants, partie en fumée en juin dernier, elle doit rouvrir ce 14 mai, moins d’un an après sa destruction.
Des difficultés qui ne font pas dévier les Mack de leur cap : investir encore et toujours dans des nouveautés ou le renouvellement de leurs attractions pour attirer des visiteurs – et surtout les faire revenir, 80% d’entre eux n’en étant pas à leur première visite. Roland Mack promet pour 2025 un «nouveau manège au centre du parc, pour les 50 ans». Et ensuite ? «On a encore de la place pour s’agrandir, et on va s’agrandir.»