Le retour d’une vieille lune? Alors que le gouvernement s’apprête, avec le résultat des revues de dépenses, à entrer dans le dur des discussions budgétaires pour 2025, aucune piste d’économies ne pourra être écartée. L’exécutif promet en revanche, malgré l’impossible équation financière, de ne pas toucher au volet des recettes. Il s’est même engagé à poursuivre la diminution des impôts mais également à alléger la douloureuse pour les ménages. «On aura entre autres, dans notre trajectoire financière, 2 milliards de baisses d’impôts sur nos compatriotes qui sont dans ces catégories (de la classe moyenne, NDLR) en 2025», a ainsi avancé Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse d e mi-janvier.
Dans le contexte de ralentissement conjoncturel, tenir ces engagements ambitieux relèvera de la gageure. Qu’il y parvienne ou non, l’exécutif devrait a minima se battre pour maintenir la ligne rouge imposée depuis 2017 par l’Élysée: les impôts des plus aisés n’augmenteront pas, malgré la pression venue de la frange gauche de la majorité. Emmanuel Macron, si mouvant sur tant de sujets, est resté inflexible sur cette ligne, depuis la transformation de l’ISF en IFI lors de sa première loi de finances. Les idées ne manquent pourtant pas pour accroître l’assiette des prélèvements. Un article publié dans une revue de l’Insee (1) tente ainsi, pour l’instant sans succès, de ranimer le débat sur la non-imposition des loyers fictifs.
Les auteurs rappellent ainsi que de 1914 à 1965 l’État français imposait ces «loyers que les propriétaires occupant leur logement devraient payer s’ils étaient locataires du bien». L’imposition avait été suspendue pendant les Trente Glorieuses dans le but de favoriser l’émergence d’une classe moyenne de propriétaires. Alors que le débat sur les inégalités de patrimoine s’intensifie depuis quelques années sur fond d’explosion des prix de l’immobilier, ces économistes ont évalué à «7 % du revenu national net le montant des loyers imputés nets, leur non-imposition constituant des dépenses fiscales cachées pouvant aller jusqu’à 11 milliards d’euros par an». Ils rappellent aussi que certains pays de l’OCDE, comme l’Islande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Slovénie ou la Suisse, incluent toujours ces loyers fictifs dans«leur assiette fiscale et traitent les loyers imputés comme tout autre revenu de capital».
L’article vient donner une nouvelle jeunesse à une idée qui a longtemps agité le PS. L’économiste Gilbert Cette, nommé récemment à la tête du Conseil d’orientation des retraites, notait aussi dans un article récent aux Échos qu’une taxation des loyers fictifs pourrait faciliter la mobilité professionnelle. Un propriétaire occupant perd en effet au change s’il met en location son bien pour devenir locataire d’un nouveau logement près de son nouvel emploi car il se trouve imposé sur les revenus que ses locataires lui versent tout en s’acquittant lui-même d’un loyer.
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L’économiste, bien conscient de la faible probabilité de voir adopter une telle mesure, rappelle toutefois que cette réforme «appellerait d’autres changements, comme la fusion de cette nouvelle taxe avec d’autres taxes existantes sur la propriété immobilière, comme l’IFI ou la taxe foncière». Alors que l’immobilier n’en finit pas de s’enfoncer dans la crise, une telle réforme risquerait de donner un nouveau coup de frein aux transactions, déjà en net ralentissement, et par ricochet de geler un peu plus la construction. Elle serait surtout politiquement explosive au sein du pays le plus taxé de l’OCDE, et alors que le pouvoir d’achat demeure la première préoccupation des Français, selon tous les sondages.
L’imposition des loyers fictifs renvoie surtout à l’idée que les ménages ne sont pas réellement propriétaires du logement qu’ils occupent. Dans un pays où le rêve de propriété reste vivace, avec 60 % de ménages métropolitains qui détiennent leur résidence principale, un tel message est inaudible.
Le concept de l’imposition des loyers fictifs avait connu son heure de gloire pendant le quinquennat de François Hollande. En 2013, une note du Conseil d’analyse économique (CAE), instance de réflexion dépendant de Matignon, s’était prononcée en ce sens. «Toujours dans le but de réduire les inégalités de traitement fiscal, nous préconisons de rééquilibrer la fiscalité vers l’immobilier en taxant les loyers implicites nets des intérêts d’emprunt», indiquait alors le CAE. Un peu plus tôt, un essai de Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Camille Landais soutenait déjà le principe. Si l’idée resurgit à intervalle régulier, pour l’heure, l’exécutif résiste, fidèle à son cap de ne pas augmenter les impôts.
(1) «La non-imposition des loyers imputés: un cadeau pour Harpagon? Une estimation dans le cas de la France», de Montserrat Botey et Guillaume Chapelle,«Économie et statistique», 2023.