Emblème de l’art de vivre à la française, omniprésent sur les tables de fêtes, le champagne bénéficie d’une renommée qui n’est plus à faire. Pourtant, il souffre incontestablement du contexte inflationniste et du budget resserré des Français. Comme le soulevait le patron du comité stratégique des centres E.Leclerc Michel-Édouard Leclerc sur BFMTV dimanche, «le champagne se vend moins bien. (…) Les vins italiens pétillants, les crémants, ont pris la place».

Un constat qui ne se limite pas aux magasins E.Leclerc. «Les ventes de champagne chutent très fortement sur la dernière année», observe Emily Mayer, experte grande consommation au sein du cabinet Circana. Le panéliste, de même que son homologue NielsenIQ, rapportent ainsi un effondrement d’environ 20% des ventes (en volume) de champagne dans les grandes surfaces en 2023 par rapport à l’année dernière.

Avec une inflation qui n’a cessé de raboter le budget des ménages depuis deux ans – la hausse des prix alimentaires atteignant 18% entre janvier 2022 et août 2023 selon NielsenIQ -, il faut dire que les consommateurs se serrent la ceinture. Et limitent leurs dépenses aux produits essentiels. Dont le champagne, et les alcools en général, ne font pas partie. «Les alcools sont en décroissance en volume cette année, car ils ne sont pas épargnés par les arbitrages des consommateurs. Et au sein des alcools, les champagnes sont une consommation très chère et festive, donc ils en pâtissent encore plus», détaille Yannis Chemlal, consultant senior grande distribution chez NielsenIQ.

À lire aussiNotre sélection des meilleurs champagnes à moins de 45 euros pour les fêtes

La hausse des prix des champagnes n’est pas étrangère à ce recul. «Le champagne a pété les plombs, il a pété les bulles», imageait dimanche Michel-Édouard Leclerc sur BFMTV. Son prix moyen en rayons a pris entre 10% et 12% en un an, selon que l’on prenne les calculs de Circana ou NielsenIQ. Ainsi, il faut compter aujourd’hui 23 euros en moyenne pour une bouteille classique de 75 cl. Toutefois, «l’inflation a relativement moins touché les champagnes que les autres produits de grande consommation», note Yannis Chemlal.

Résultat, les consommateurs se reportent de plus en plus sur les mousseux (prosecco, crémant), «cinq fois moins chers au litre et dont la hausse du prix est plus modérée sur la dernière année», constate Emily Mayer, de Circana, relevant un prix moyen d’environ 6 euros pour ces alternatives au champagne. En particulier, le prosecco, vin blanc effervescent italien, est «ultra-dynamique depuis qu’il est arrivé en France, profitant aussi de son utilisation en apéritif avec le Spritz», particulièrement en vogue chez les moins de 50 ans, observe Yannis Chemlal. Ses ventes ont ainsi bondi de 9% en rayons cette année selon NielsenIQ (4% pour les crémants).

À lire aussiJouets, repas, sapin… Combien va vous coûter Noël cette année ?

Du côté de la filière champagne, on tente de relativiser ce recul des ventes. Sur l’étape de l’expédition, c’est-à-dire des sorties de champagne, si les volumes «sont en baisse par rapport à 2022, de l’ordre de 5 %» (autour de 305 millions de bouteilles contre 324 millions en 2022), David Chatillon, président de l’Union des Maisons de champagne (UMC), l’explique entre autres par «des niveaux 2022 records». Il met aussi en cause le «surstock» accumulé par les distributeurs en 2022, par crainte de pénuries. «Il doit se résorber avant que les distributeurs ne commandent à nouveau», estime le professionnel, également co-président du Comité Champagne.

Selon les panélistes, un autre facteur a pu jouer sur la baisse des ventes de champagne, en grande surface cette fois : celui d’approvisionnements restreints, conséquence de moins bonnes récoltes. «Depuis le début de l’année, on est à 9% de ruptures en magasins pour les champagnes, contre en moyenne moins de 5% pour les produits de grande consommation et du frais libre-service (PGC-FLS)», décrit Yannis Chemlal. «Des quotas ont été mis en place pour la grande distribution française, avec certains acteurs qui ont privilégié l’export», affirme Emily Mayer.

Faux, répond David Chatillon, «ceux qui affirment cela méconnaissent le fonctionnement de la Champagne». «Nous avons mis en place depuis très longtemps un dispositif de mise en réserve. Les années excédentaires, nous mettons des vins en réserve (qui ne peuvent être commercialisés). Les années déficitaires, ces vins sont sortis de la réserve pour atteindre le rendement commercialisable qui est décidé par la profession», explique le patron de l’organisation professionnelle du champagne. Quoi qu’il en soit, les petites bulles françaises devraient moins remplir les flûtes à Noël cette année.