Montréal
C’est la débandade dans les médias canadiens. Quelques semaines après l’annonce de 547 licenciements dans la chaîne de télévision québécoise TVA, soit un tiers des effectifs de la filiale du géant Québecor, Catherine Tait, la PDG de Radio Canada (RC) et son pendant anglophone, la Canadian Broadcasting Corporation (CBC), congédie 600 employés et ne renouvellera pas 200 postes vacants. Soit environ 10 % des postes de l’effectif global, qui compte 6597 salariés permanents et 2065 temporaires.
La patronne du groupe de radiotélévision public a invoqué la baisse des audiences et une hausse des coûts de production liée à l’inflation. Sans oublier une chute des revenus publicitaires de 31,2 % pour l’exercice 2022-2023, au profit de Google et Meta, ainsi qu’une diminution du financement du gouvernement fédéral de 32 millions de dollars cette année, sur un budget de 1,2 milliard de dollars. Ottawa a demandé récemment à tous ses ministères et organismes publics de réduire de 3 % leurs dépenses. En limogeant 600 collaborateurs, Catherine Tait sait qu’elle met la pression sur le gouvernement. « On a décidé de revoir l’ensemble des dépenses gouvernementales et on a demandé au diffuseur public (…) de faire cet exercice, mais la décision finale n’a pas été prise », a déclaré prudemment la ministre du Patrimoine du Canada, Pascale St-Onge, à l’annonce des suppressions de poste.
Le financement de Radio Canada-CBC est un sujet éminemment politique. Les libéraux du premier ministre Justin Trudeau ont toujours largement subventionné le diffuseur. Le premier ministre l’avait promis dès sa première campagne électorale en 2015. Notamment via une rallonge de 675 millions de dollars à RC-CBC s’il était élu. Promesse tenue, ce qui lui vaut la reconnaissance des journalistes des deux chaînes. De son côté, le chef des conservateurs, Pierre Poilievre, veut supprimer le financement public de la seule CBC, qu’il accuse de verser « 99 millions de dollars de primes à des cadres incompétents » et à des journalistes qu’il considère comme « des porte-parole libéraux ».
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Les employés de Radio Canada, eux, sont furieux à l’idée que leur entreprise paie pour les mauvaises performances d’audience et les faibles recettes publicitaires de la CBC, qui ne recueillerait que 5 % de l’audience au Canada anglophone, contre 23 % pour Radio Canada au Québec. Et les coupes concernent le même nombre de salariés dans les deux entités, alors que CBC représente 55 % du budget du groupe audiovisuel. Parmi les causes du déclin des chaînes du groupe audiovisuel public, les experts s’accordent à dire que le groupe est présent dans trop de domaines : divertissement, information, documentaire… « À vouloir être partout, CBC-Radio Canada prend le risque de se retrouver nulle part. Radio Canada ne peut pas tout faire, encore moins tenter de calquer chacun de ses compétiteurs du secteur privé », a estimé le président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio Canada, Pierre Tousignant. Le groupe audiovisuel est aussi contraint par ses obligations de service public. Il doit diffuser ses émissions aussi bien à Toronto qu’à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, une municipalité de moins de 100 habitants.
Autre point noir, la masse salariale et les dépenses croissantes du consortium. Près de 1000 employés gagnent plus de 100.000 dollars par an. La Fédération canadienne des contribuables a relevé que la masse salariale des personnels les mieux rémunérés est passée de 59,5 millions de dollars en 2015 à 119 millions de dollars en 2021. Les dépenses de la direction de Radio Canada ont fait tiquer dans un contexte de restrictions budgétaires. À l’image de ce billet d’avion à 7901 dollars entre le Canada et la République tchèque, pris par la PDG en octobre dernier. Or pour l’exercice 2022-2023, CBC-RC affichait une perte de 125 millions de dollars.
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Le consortium n’est pas le seul à traverser des difficultés. Bell Media a licencié 1300 personnes en 2023 dans ses chaînes de télévision, fermé six stations de radio, en invoquant une migration de ses abonnés du câble vers les plateformes de diffusion numérique. Métro Média, éditeur du quotidien Métro et d’une vingtaine de médias hyperlocaux, a fermé ses portes. Les quotidiens régionaux québécois ont licencié 125 salariés et abandonnent leurs éditions papiers en fin d’année.
Enfin, le groupe anglophone Postmedia a diminué de 11 % les effectifs des salles de rédaction de quatre de ses journaux. À la concurrence des réseaux sociaux s’ajoute la hausse du prix du papier, qui a conduit à une hausse du prix de vente au détail des journaux, alors que tous peinent à se démarquer de la concurrence par leur trop grande utilisation des agences de presse. Seul Le Journal de Montréal, avec ses potins et ses enquêtes, résiste à la crise. Grâce à une recette qui a fait ses preuves : du terrain, seulement du terrain.