Le premier ministre Gabriel Attal a annoncé mardi l’interdiction du réseau social TikTok en Nouvelle-Calédonie dans une série de mesures visant à assurer la sécurité. Le territoire est en proie à des violences depuis lundi après le passage d’une révision constitutionnelle qui ne passe pas auprès des indépendantistes. Une décision inédite et en lien avec l’état d’urgence déclaré ce mercredi dans le département. Jointe par le Figaro, la plateforme n’a pas encore réagi à cette annonce. Selon nos informations, l’interdiction est déjà en vigueur et opérationnelle sur les téléphones. C’est l’office des postes et des télécommunications de Nouvelle Calédonie qui intervient depuis hier pour bloquer les accès à l’application.

TikTok, propriété de la société chinoise ByteDance, est un des vecteurs de communication préférés entre les groupes qui commettent des violences depuis trois nuits en Nouvelle-Calédonie. Cette mesure d’interdiction intervient également sur fond de crainte d’ingérences et de désinformation sur les réseaux sociaux venant de pays étrangers qui chercheraient à attiser les tensions, ont indiqué à l’AFP des sources gouvernementales et de sécurité, évoquant des pays comme la Chine ou l’Azerbaidjan.

Mais le gouvernement a-t-il réellement le droit d’interdire TikTok à ses concitoyens ? Selon l’avocat Maître Eolas ça n’est pas impossible, s’«il s’agit d’une interdiction provisoire, dans le cadre de l’état d’urgence», explique-t-il sur X (ex-twitter). «S’il s’avérait que les émeutiers utilisent TikTok pour provoquer à la rébellion armée et se coordonner, c’est une mesure qui peut être proportionnée à la nécessité de rétablir l’ordre et la sécurité publique.»

Plus précisément, c’est l’article 11 de la loi de 1955 relative à l’état d’urgence, substantiellement modifié par la loi de novembre 2015, qui permet au ministre de l’Intérieur et au préfet de suspendre l’usage de TikTok en France. «Le ministre de l’Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie», précise cet amendement, voté en 2015 après les attentats islamistes qui ont frappé le pays.

« En somme, on permet au pouvoir administratif de limiter l’accès aux réseaux sociaux sur son interprétation du terrorisme. Une mesure qui interrogeait déjà en 2015, puisqu’il n’existe pas de réelle possibilité de la contester en tant que telle», confirme auprès du Figaro, Nicolas Hervieu, professeur de droit public. Le juriste s’interroge justement sur la définition de terrorisme attribuée aux actes de violences sur le territoire. «Certes ce sont des actes d’une très grande gravité. Notamment avec la mort du gendarme aujourd’hui», poursuit-il. «Mais au sens strict du droit, nous ne sommes pas dans la définition même du terrorisme».

D’autres, ne partagent pas forcément ce point de vue. «Ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie n’est pas (juste) de “grosses manifs’’. Ce sont des émeutes violentes. Un gendarme a été tué et renseignez-vous sur ce qui s’est passé là-bas en 1985 et 1988», souligne Maître Eolas sur son compte X. Le praticien du droit fait référence à deux moments de violences entre les indépendantistes et les anti-indépendantistes qui ont fait des morts.

Dans la pratique, il faut également contraindre les opérateurs télécoms à suspendre l’adresse du serveur de TikTok. Ce qui entraînerait l’impossibilité de télécharger, ou le cas échéant, d’ouvrir l’application. Une possibilité là aussi permise par l’article 11 de la loi relative à l’état d’urgence.« Le gouvernement peut en effet enjoindre TikTok à couper l’accès à ses services sur le territoire dans les 24 heures et s’il ne le fait pas, c’est aux opérateurs télécoms qu’ils le demanderont», confirme Nicolas Hervieu. «Mais ce qui est assez étonnant cette fois, c’est que le ministre veut que l’application soit suspendue tout de suite. Ce qui ne paraît pas possible.»

Pour contester cette décision, les citoyens de Nouvelle-Calédonie pourraient eux envisager un référé liberté contre la décision du ministre de l’Intérieur en se basant «sur la tenue de l’illégalité manifeste de cette décision compte tenu du délai demandé à la plateforme», conclut le juriste. Selon nos informations, la plateforme devait encore prendre contact avec le gouvernement au sujet de l’annonce de son interdiction sur le territoire.