Et si le métro parisien se remettait à fonctionner normalement ? S’il n’était plus un sujet de plaintes et de récriminations, comme depuis un an et demi ? C’est le pari de Laurent Probst : « Au printemps, nous sommes confiants pour que le métro parisien revienne à la situation de 2019 », affirme le directeur général d’IDFM (Ile-de-France Mobilités), l’organisme qui finance les transports en commun en Ile-de-France. Cet engagement peut être perçu comme une provocation pour beaucoup d’usagers excédés de la dégradation du service sur leur ligne. « 8 minutes d’attente du métro ligne 8 à 18h. Un métro bondé. Peut-on encore considérer que la RATP rend un service » s’agaçait récemment un usager sur X (ex-twitter).
Mais si la RATP et IDFM font de telles promesses, c’est que la tendance commence à s’inverser dans le métro. Certes, en janvier, plusieurs lignes sont restées sinistrées (3,6, 8, 12 et 13). Mais la ponctualité aux heures de pointe a grimpé globalement sur le réseau à 92,5% contre 88,5% en décembre. Ce rebond ne risque-t-il pas d’être freiné, alors que le groupe a annoncé vendredi une perte de 109 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 6,5 milliards ? Non, répond la RATP dont le directeur financier, Jean-Yves Leclercq, précise : « Notre objectif en 2024 est de réussir les Jeux olympiques et de revenir à la normale concernant notre production dans le métro pour les voyageurs du quotidien. »
En réalité, si la Régie s’est retrouvée dans le rouge pour la deuxième année consécutive, c’est en raison de sa gestion d’une partie des fameux bus rouges londoniens, qui se révèle une très mauvaise affaire. Dans son périmètre historique, l’Ile-de-France, malgré l’inflation des coûts de l’électricité, la RATP a dégagé un léger bénéfice de 18 millions d’euros. Parce que le trafic a repris même s’il reste inférieur de 14% à celui de 2019. Mais surtout parce que toutes les parties prenantes ont donné un coup de pouce à l’opérateur du métro, des bus et des tramways parisiens.
Fort opportunément, l’État l’a indemnisé à hauteur de cinquante millions d’euros pour compenser le premier confinement. Et Ile-de-France Mobilités a décidé de prendre à sa charge une partie un peu plus importante que prévu des augmentations de salaire à la RATP. Elle a donc attribué 125 millions à la Régie l’année dernière. Et en versera encore 160 cette année. De son côté, l’opérateur de transport public n’est pas resté les bras croisés : au second semestre, il s’est appliqué un plan d’économies de plusieurs dizaines de millions d’euros concernant notamment des frais de structure. Ce n’est pas par bonté d’âme que les partenaires de la RATP ont volé à son secours. C’est pour permettre au patron de l’entreprise publique, Jean Castex, de déployer son plan pour faire redémarrer le métro, plan qui commence à porter ses fruits. Il s’agit quasiment d’une cause nationale à l’approche des Jeux olympiques. Mais ce programme demande beaucoup de moyens.
« Le premier chantier de Jean Castex a été de recruter en masse des conducteurs de métro. L’entreprise en manquait suite à la pandémie de Covid au cours de laquelle les embauches avaient été ralenties », raconte Marc Pélissier, président de la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports) Ile-de-France. Mais, depuis la fin de la crise sanitaire, les candidats qui évoluent sur un marché de l’emploi favorable sont devenus exigeants. Pas question de travailler en horaires décalés, le week-end ou les jours fériés pour une paie qui ne suit pas. Pour y faire face, Jean Castex a dénoué les cordons de sa bourse : 105 euros net mensuels d’augmentation générale en 2023, 100 euros brut cette année.
Entre 2022 et 2024, les revalorisations ont atteint 15,1%. Bien sûr, l’inflation en a absorbé la majeure partie. Mais peu d’entreprises ont fait mieux. Cerise sur le gâteau, les 120 millions versés par IDFM pour faire basculer dans le vert les comptes de la RATP sur ses activités en Ile-de-France devraient permettre aux agents de toucher « un intéressement qui devrait être comme d’habitude autour de 1 000 euros », estime Jean-Yves Leclercq, le directeur financier. Avec ces gestes financiers et des campagnes de recrutement tous azimuts, le transporteur public a atteint son objectif : embaucher en 2023 6 600 personnes, dont 300 conducteurs de métro et 650 agents de station et de gare. Cette année, ce sont 250 conducteurs supplémentaires qui devraient rejoindre la RATP. « En avril, il y aura plus de 3 000 conducteurs. C’est suffisant pour répondre à la demande », estime Laurent Djebali, secrétaire général de FO à la RATP.
Cela n’empêche pas, pourtant, que certains métros ne roulent pas par absence de conducteurs. La faute à un absentéisme croissant à la RATP comme ailleurs. Pour le faire diminuer, la RATP manie la carotte et le bâton. Elle fait la chasse aux faux arrêts de travail, avec depuis 2022, une centaine de licenciements pour des faits de ce genre. En même temps, elle cherche à améliorer la qualité de vie au travail. Un accord signé récemment prévoit de tester la semaine de quatre jours pour 170 agents de station ou contrôleurs des lignes 5, 7, 9 et sur le RER B. Au programme aussi, l’accès facilité à 1.100 logements sociaux cette année, la mise en place d’exosquelettes pour rendre moins difficiles certaines tâches dans les ateliers de maintenance… Résultat : « L’année dernière, les jours d’arrêt de travail ont baissé de 7% », souligne-t-on à la RATP.
Mais, sur certaines lignes comme la 8, la 12 ou la 13, la plus grande disponibilité du personnel ne suffit pas à améliorer significativement le service. Leur point commun ? Elles disposent d’un matériel roulant et d’une infrastructure hors d’âge. Ainsi, sur les lignes 8 et 13, les rames qui ont plus de trente ans sont à bout de souffle. Elles tombent donc plus souvent en panne. Et les pièces de rechange ne sont pas toujours faciles à trouver. Les commandes de matériel roulant ont bien été passées. Mais elles n’arriveront pas avant plusieurs années : en 2027 sur la ligne 7, en 2029 sur la ligne 8. En attendant, la RATP et IDFM déploient des plans d’urgence sur ces lignes malades. Sur la 8, par exemple, 30 conducteurs supplémentaires ont été recrutés. Et une équipe de chiens renifleurs a été introduite pour intervenir plus rapidement dans les cas de bagages abandonnés. Par ailleurs, sur toutes les lignes, la rame ne sera plus immobilisée en cas de malaise de voyageur. On comprend bien qu’avec ces problèmes opérationnels, le groupe ne se fixe pas d’objectifs financiers pour le moment. Il est toujours difficile de courir après deux lièvres à la fois.