Les promesses du gouvernement se traduiront-elles vraiment dans les rayons ? Alors que le gouvernement annonce depuis des semaines des baisses de prix substantielles dans les supermarchés pour le début de l’année 2024, le risque de déception pointe le bout de son nez. Il pourrait même y avoir finalement plus de hausses que de baisses, avertissent déjà de concert la grande distribution et les industriels.

C’était pourtant la promesse de l’exécutif lorsqu’il a présenté en septembre son projet de loi visant à avancer les négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, définitivement adopté mardi par le Parlement. L’ambition de l’exécutif était de faire profiter le plus vite possible aux consommateurs des baisses de prix. «Ce texte permettra de répercuter plus rapidement dans les rayons des baisses de prix de nombreux produits de consommation», a encore répété mardi le ministre délégué chargé du Numérique Jean-Noël Barrot, qui représentait Bercy en l’absence de sa collègue chargée du Commerce Olivia Grégoire.

Mais les acteurs du secteur ont déjà prévenu que les résultats des négociations – qui viennent de commercer et qui doivent être bouclées d’ici le 15 ou le 31 janvier, en fonction de la taille des entreprises industrielles – pourraient ne pas être à la hauteur des attentes. «Tous les tarifs que nous recevons pour démarrer la négociation sont en hausse, ils sont entre 6 et 10% en hausse. Il va falloir ramener cela à 2 ou 3% maximum», a déjà averti Michel-Édouard Leclerc, patron du comité stratégique des centres E.Leclerc, sur Franceinfo la semaine dernière.

Même son de cloche de l’autre côté de la table des négociations. «Aujourd’hui, à peu près les deux tiers des industriels ont envoyé leurs demandes de tarifs aux distributeurs, qui vont donc servir de base à la négociation. Et aujourd’hui on est plutôt sur des tendances à la hausse », a reconnu mercredi sur BFMTV/RMC Richard Panquiault, président-directeur général de l’Ilec, organisation qui regroupe une centaine de géants de l’industrie agroalimentaire et de la grande consommation – dont Coca-Cola, Danone, Haribo, Unilever, Nestlé ou Panzani. Même si ces hausses restent moins importantes que lors des négociations du début d’année : «à peu près un tiers des demandes sont entre 0 et 3%, un tiers entre 3% et 5%, et un tiers au-dessus de 5%», a-t-il précisé, ajoutant que «sur 2023, on était sur 13%, 14%, 15%». «On ne sera pas sur des hausses à deux chiffres comme lors des précédentes négociations, mais plutôt sur des hausses à un chiffre», confirme une multinationale de l’alimentaire.

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Premier gros industriel à avoir joué cartes sur table : Coca-Cola. Dans une interview au Parisien publiée lundi, François Gay-Bellile, patron de Coca-Cola Europacific Partners France – producteur et distributeur du Coca-Cola, mais aussi du Fanta ou du Sprite -, a assumé de réclamer 7% de hausse en moyenne à la grande distribution. «Attention, cela ne veut pas dire que nos produits augmenteront d’autant, puisque nous allons négocier ce chiffre avec la grande distribution», a-t-il néanmoins précisé. «On sait qu’entre l’annonce des tarifs et le prix final, on a souvent une division par deux», observe Emmanuel Cannes, expert prix et consommation au sein du panéliste NielsenIQ.

Une demande de hausse de tarif que le géant des boissons met, entre autres, sur le compte de la hausse du cours du sucre sur les marchés mondiaux. «Le sucre est une composante importante de nombreuses catégories de produits, comme les confitures, les boissons sucrées ou les confiseries», note Emmanuel Cannes. Il faut donc s’attendre à de nouvelles augmentations de prix en rayons sur ces produits en début d’année prochaine. Même si, du côté de l’exécutif, on tente de rassurer. «Nous avons constaté des demandes de hausses sur des produits sucrés, mais elles sont modérées, de l’ordre de moins de 10%», rapporte-t-on à Bercy.

Le cacao fait lui aussi partie des matières premières agricoles qui continuent à voir leur cours flamber. D’où une inflation encore importante à attendre sur le chocolat début 2024. Un distributeur craint également des hausses de prix sur le riz ou le jus d’orange. «Il y a beaucoup plus de matières premières agricoles qui augmentent que de matières qui baissent», a prévenu le patron de l’Ilec, Richard Panquiault, mercredi, citant «le sucre, le cacao, la tomate, l’orange, le riz, l’huile d’olive, les pommes de terre, les noisettes». La faute au «dérèglement climatique», selon l’industriel. «Les récoltes sont mauvaises, partout. (…) Un phénomène qui veut dire que fondamentalement vous allez devoir payer plus cher les denrées agricoles.»

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Toutes les productions agricoles ne sont toutefois pas concernées par ces envolées. D’autres, à l’inverse, connaissent des baisses continues sur les marchés depuis plusieurs mois, qui devraient se répercuter en rayons sur certains produits. C’est le cas par exemple des céréales, avec pour conséquence une baisse des prix à prévoir sur les pâtes ou les croquettes pour animaux. Dans cette catégorie baissière devraient également figurer la viande de porc, les huiles végétales, les produits à base de papier, ou encore le café. «Tout ce qui est droguerie-parfumerie-hygiène devrait également baisser», affirme-t-on à Bercy.

Mais les cours des matières premières ne font pas tout. «La part de la matière première agricole dans la valeur ajoutée d’un industriel n’est pas toujours très élevée», note Philippe Goetzmann, consultant spécialiste de la grande distribution. La négociation «porte aussi sur tout ce qu’il y a autour, le carton et l’aluminium, et les frais de personnel qui ont augmenté» du fait de l’inflation, souligne Jean-Philippe André, le président de l’Ania (Association nationale des industries alimentaires), principale organisation des industriels de l’agroalimentaire. De quoi rendre encore plus difficile les projections. Sans compter la puissance variable des industriels dans le jeu des négociations, certains comme Coca-Cola étant en meilleure position pour imposer leurs prix que d’autres. Dernière étape avant la mise en rayon, la marge des distributeurs sur chaque produit joue également sur le prix final.

Côté gouvernement, on assure que la promesse sera respectée. «Les baisses seront répercutées en rayons en janvier-février, dès la fin des négociations commerciales», veut-on croire à Bercy. Quant aux hausses déjà annoncées, «elles seront lissées sur plusieurs mois ou retardées». Traduction : si un tarif est par exemple négocié à la hausse à 10%, le consommateur ne verra pas le produit prendre une hausse en rayons de 10% dès le 1er février. Résultat, faire ses courses en février 2024 sera peut-être moins ardu qu’en mars 2023. «Comme il y a davantage de contrastes entre ce qui augmente et ce qui baisse, pour le consommateur il y a peut-être plus de possibilités d’arbitrer, de choisir des produits qui baissent plutôt que des produits en hausse», estime Richard Panquiault.