La première pierre de l’empire commercial de Michel Ohayon menace elle aussi de tomber. Camaïeu a été liquidé ; Go Sport, Gap et La Grande Récré ont été repris par des rivaux à la barre du tribunal de commerce après leur dépôt de bilan ; la société Cafés Legal a été revendue avant de connaître ce funeste sort. C’est désormais au tour des 25 grands magasins Galeries Lafayette détenus par l’homme d’affaires bordelais et à leurs salariés d’attendre avec inquiétude d’être fixés sur leur sort. Ce mercredi, le tribunal de commerce de Bordeaux examine le projet de plan de sortie de la procédure de sauvegarde de ces commerces, qui emploient plus de 1000 salariés. Les juges auront jusqu’au 22 février pour se prononcer sur leur sort.
Le dossier revêt une forte dimension politique tant ces grands magasins sont ancrés dans les territoires à Agen, Bayonne, Caen, Rouen ou encore Lorient. Il est aussi délicat pour l’image du groupe Galeries Lafayette, qui a cédé ces 25 magasins sous-performants. Le groupe ne s’attendait sans doute pas à une telle débâcle lorsque, en 2018 et 2021, Michel Ohayon récupère les fonds de commerce, exploités depuis en affiliation (franchise) via la société Hermione Retail, et rachète dans la foulée tous les murs. Le tout est regroupé dans sa Financière immobilière bordelaise (FIB), elle-même en redressement judiciaire.
À lire aussiSan Marina, André, Kookaï… Pourquoi l’hécatombe dans le prêt-à-porter s’accélère
À l’époque, l’ambition affichée du sexagénaire est de redynamiser les commerces de centre-ville de petites et moyennes villes. Cinq ans plus tard, la désillusion est totale. L’ouverture d’une procédure de sauvegarde est décidée en février 2023 pour l’ensemble de ces 25 grands magasins. Une bonne partie d’entre eux nécessitent d’importantes rénovations – certains étant dans un «état critique» -, les loyers sont élevés, les investissements sont absents, l’endettement croît, rapportent les représentants du personnel et d’autres observateurs du secteur.
Du côté de Michel Ohayon, on préfère garder le silence. Et pour cause, les prochaines semaines s’annoncent décisives. Le projet de plan de sortie de la procédure de sauvegarde qu’il a concocté en vue de conserver le contrôle des 25 grands magasins a subi un premier revers avec son rejet par le comité social et économique (CSE) des magasins, la semaine dernière. Cet avis est certes consultatif, mais il devrait peser dans son analyse par le Tribunal de commerce. En cause? Les mesures économiques et financières envisagées par l’homme d’affaires pour tenter de faire vivre les magasins et jugées irréalistes. Les syndicats redoutent un effondrement similaire à celui subi par les autres enseignes que le Bordelais a rachetées. «Ce plan est catastrophique, il n’est pas sérieux, s’emporte l’avocat des salariés, Stéphane Kadri. Par exemple, il prévoit une hausse du chiffre d’affaires de 11 % dès 2024.»
Surtout, Michel Ohayon réclame aux créanciers, principalement les fournisseurs, un abandon de 70 % de leur créance et, pour les 30 % restants, un paiement échelonné sur dix ans, selon l’avocat des salariés. Ces créanciers peuvent refuser de s’y plier. Là encore, le groupe Galeries Lafayette se trouve en première ligne: fournisseur principal, l’enseigne perçoit des redevances au titre de l’exploitation de sa marque. Le total des créances s’élèverait à 49 millions d’euros depuis 2018, selon nos informations.
En fait, toutes les parties pensent surtout au coup d’après. Soit le tribunal donne son feu vert au plan de sauvegarde et Michel Ohayon, qui n’a pas manifesté de volonté de cession à ce stade, réussit à maintenir à flot, voire à relancer, ses magasins. Mais certains observateurs estiment que «cela reviendrait à reculer pour mieux sauter».
Soit l’instance judiciaire rejette le plan. Les magasins seraient alors placés en redressement judiciaire en vue de leur cession. Masi il est difficile de trouver repreneur pour ces commerces d’une superficie de 2000 à 4000 m2 implantés dans les centres de villes de petite et moyenne tailles, délaissés ces dernières années. Le déclin de la population, la forte concurrence des centres commerciaux de périphérie et l’essor du commerce en ligne sont autant de facteurs de fragilisation des commerces de centre-ville, des boutiques aux grands magasins. D’ailleurs, le groupe Galeries Lafayette ne cesse de répéter qu’il n’a aucune intention de les récupérer. L’enseigne, qui pensait initialement conserver un ancrage territorial avec ces magasins, a engagé une stratégie de recentrage de son activité dans les plus grandes agglomérations.
De quoi susciter de vives inquiétudes dans les collectivités locales: à l’heure où les élus locaux et l’État multiplient les initiatives pour maintenir l’activité commerciale et ainsi redynamiser les centres-villes, des fermetures seraient un bien mauvais signe. «Pour nous c’est un sujet extrêmement sérieux, explique Clémence Brandolin-Robert, première adjointe au maire d’Agen, qui échange régulièrement avec Bercy sur ce dossier. C’est un gros enjeu de dynamique commerciale et foncière. Les gens viennent en centre-ville parce qu’il y a les Galeries Lafayette.» Agen accueille en plein centre l’un de ces grands magasins en sursis. Si ce commerce est cédé, «le risque est d’avoir une verrue immobilière en plein centre-ville. On ferait quoi pour convertir 3000 m2?», s’inquiète l’adjointe au maire, qui reste toutefois confiante, car le magasin d’Agen a été rénové.