La France, premier pays spatial européen, doit être moteur dans le développement des vols habités, une capacité souveraine dont le vieux continent ne dispose toujours pas. Contrairement aux États-Unis, à la Russie, à la Chine et à l’Inde, qui doit envoyer des astronautes dans l’espace en 2025 avec son propre vaisseau. C’est pourquoi, Paris « soutiendra le développement d’un vaisseau spatial cargo, capable d’acheminer du fret vers les futures stations spatiales», a déclaré, ce lundi Emmanuel Macron, depuis Toulouse, en marge de la présentation des nouveaux axes du plan France 2030, dédié à l’accélération de l’innovation.

Le chef de l’État juge le marché du fret spatial, première étape avant les vols habités, «potentiellement considérable, tant dans ses besoins civils que militaires». Aujourd’hui, deux stations tournent autour de la Terre – la Station spatiale internationale (ISS) et la chinoise Tiang gong. D’ici à 2030, entre 4 et 6 stations devraient être en service, notamment des stations spatiales privées, en cours de développement, telles que celle d’Axiom, de l’hôtel de luxe Orbital Reef, du Space Lab etc.

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Fin novembre, l’Agence spatiale européenne (Esa), dont la France est le deuxième financeur, derrière l’Allemagne, a décidé de faire un premier pas vers les vols habités, en annonçant le lancement d’une compétition. Les gagnants devront d’abord réaliser, en 2028, un vol de démonstration d’un cargo spatial vers l’ISS. Le vaisseau devra s’y amarrer puis revenir sur Terre. Ensuite, ils devront développer une version habitée, capable de rallier des stations privées en orbite basse mais aussi la Lune et Mars. L’Europe veut ainsi s’affranchir du vaisseau Crew Dragon de SpaceX, dont elle dépend pour envoyer ses astronautes dans l’espace.

Le vieux continent veut procéder par étapes, comme l’a fait SpaceX. Cette dernière a d’abord conçu un cargo spatial, le Dragon, qui a effectué son premier vol en 2012. Puis, sa version habitée, le Crew Dragon, qui a réussi un premier vol vers l’ISS, sans équipage, en mars 2019, suivi, en mai 2020, de sa première mission habitée, redonnant ainsi aux États-Unis leur indépendance dans ce domaine.

«L’ESA soutiendra la démarche et France 2030 aussi», insiste Emmanuel Macron, pour qui «la course à l’espace déterminera les avancées industrielles de demain». Une allusion aux retombées des programmes spatiaux, notamment Apollo de conquête de la Lune à la fin des années 60, au bénéfice de pans entiers de l’industrie. «Nous devons nous lancer dans cette compétition, mais avec la même méthode que pour les lanceurs, en ouvrant la voie aux initiatives privées, en autorisant les paris les plus risqués», argumente le président de la République.

L’Esa a également annoncé, en novembre dernier, l’organisation, en 2024, d’un concours, baptisé le «Launcher Challenge», pour sélectionner en 2025 deux à trois projets de mini-lanceurs, afin de les aider à grandir. À la clé, 150 millions d’euros de financements publics pour chaque projet retenu. Puis, à horizon 2028, une nouvelle compétition départagera les successeurs d’Ariane 6, Ariane Group perdant ainsi son monopole dans le développement de lanceurs lourds.

Dans l’Hexagone, le volet spatial (1,5 milliard d’euros) de France 2030 a déjà accéléré l’éclosion de huit projets de micro et mini-lanceurs ainsi que quatre projets de constellations. Il est désormais appelé à stimuler les projets dans le domaine des vaisseaux spatiaux. «Je sais que nous avons des pépites en maturation», relève Emmanuel Macron. Et, en effet, plusieurs projets ont déjà été lancés en Europe. Parmi ces derniers, celui de la start-up franco-allemande The Exploration Company, dont la fondatrice, Hélène Huby, ex-directrice de l’innovation d’Airbus defence

La jeune pousse travaille au développement d’un vaisseau spatial durable et réutilisable, baptisé Nyx (la déesse de la nuit chez les Grecs), également dédié au ravitaillement des stations spatiales publiques et privés en orbite basse terrestre et aux missions lunaires. Entièrement financé à ce stade par des fonds privés, le vaisseau Nyx ( 8 à 10 tonnes sur la balance et 4 mètres de diamètre) ambitionne d’être prêt à réaliser son vol inaugural en 2026, avec un tout premier amarrage à l’ISS, puis à revenir sur Terre.

De son côté, Ariane Group a présenté, en septembre 2022, Susie (Smart Upper Stage for Innovative Exploration), un projet lancé en 2020. Il s’agit d’un étage supérieur 100% réutilisable, polyvalent et à bas coût, destiné à répondre aux besoins institutionnels et commerciaux européens, en matière de transport spatial de fret, de charges utiles et d’astronautes. Les ingénieurs d’Ariane Group ont en effet imaginé Susie en deux versions : un cargo spatial automatique (7 tonnes de fret) et une capsule pour les vols habités pour cinq astronautes. Placée au sommet d’Ariane 6, à la place de la coiffe, Susie vise des missions diversifiées de transport d’astronautes, de remorquage, d’inspection ou de mise à niveau de satellites et d’autres charges utiles, de ravitaillement de stations spatiales en carburant, nourriture et équipements, de transport d’éléments pour construire des infrastructures orbitales telles que des stations spatiales.

La France a toute sa place dans les compétitions à venir. «On va se battre, on sera les meilleurs et on consolidera autour de nous, sur les lanceurs comme sur la constellation (Iris2, l’infrastructure de connectivité européenne qui embarque l’ensemble des acteurs de la filière spatiale européenne, NDLR)», lance Emmanuel Macron. Un appel à la coopération européenne alors que « certains de nos partenaires historiques sont devenus des compétiteurs» au détriment d’une nécessaire «unité européenne». Une allusion à l’Allemagne qui conteste le leadership français dans l’industrie spatiale.