Voilà plusieurs semaines que les géants de l’affichage observent avec curiosité les premières campagnes de communication réalisées, presque intégralement, grâce à l’intelligence artificielle (IA) générative. Timidement, une poignée d’annonceurs commencent à délaisser les traditionnelles agences de marketing pour remettre la création de leur publicité dans les mains d’outils bon marché, ou gratuits, comme Midjourney et Dall-E… Situés au bout de la chaîne de distribution, les acteurs du secteur de l’affichage devraient être épargnés par ces grandes révolutions technologiques qui bouleversent, déjà, de nombreux corps de métiers.

À terre durant la pandémie à cause des confinements et de l’arrêt des mobilités, la publicité extérieure recouvrait l’an passé à l’échelle mondiale ses pertes liées à la crise sanitaire. Preuve de son retour en grâce sur le mobilier urbain, dans les aéroports ou les grands magasins, le numéro un du secteur, le français JCDecaux, publie ce jeudi des résultats 2023 en hausse : 3,57 milliards d’euros de chiffre d’affaires ( 8,7% en croissance organique sur un an), après un quatrième trimestre record, et une marge opérationnelle de 663,1 millions ( 10%). « Nos audiences urbaines comme les mobilités sont en croissance », se réjouit auprès du Figaro son co-directeur général, Jean-Charles Decaux. Seul le trafic aérien en Chine, qui représente 11% des revenus de JCDecaux, peine à retrouver ses niveaux d’avant crise. Le groupe, qui prévoit pour le premier trimestre 2024 une croissance organique de ses revenus autour de 9%, a également déclaré qu’il proposera à l’assemblée générale de ne pas verser de dividendes cette année. À la Bourse de Paris, la valorisation de JCDecaux oscille autour de 4,10 milliards d’euros, en baisse de 15% depuis un an.

« Le secteur est épargné par plusieurs grands bouleversements qui touchent de plein fouet l’univers de la publicité digitale », analyse un expert du secteur. À commencer par la disparition des «cookies tiers» pour pister le parcours des internautes en ligne, les récentes politiques de protection des données d’Apple sur les applications mobiles ou encore la concurrence croissante des géants américains de la tech dans la création comme dans la distribution d’annonces publicitaires. La bonne vieille affiche échappe aussi aux bloqueurs de publicités (adblocker). « Pour nous, l’un des éléments différenciants auprès des annonceurs est la garantie de «brand safety», le fait que le message de leur marque ne soit jamais diffusé dans des contextes qui pourraient nuire à leur image », commente Jean-Charles Decaux.

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À travers le monde, la communication extérieure représente 7 % du marché publicitaire dans les médias (internet et mobile inclus), pour un montant de 31 milliards d’euros. La publicité extérieure bénéficie aussi de la hausse des investissements de ses secteurs annonceurs historiques comme la distribution, l’automobile ou le voyage. « L’IA pourrait nous permettre à l’avenir d’étendre notre portefeuille clients, avec des annonceurs de taille plus modeste ou plus locaux qui pourraient créer leur campagne à des coûts plus accessibles », estime le dirigeant de JCDecaux.

Le secteur est porté par le digital puisque sa croissance provient essentiellement par la montée en puissance de l’affichage extérieur numérique (DOOH), alimentée depuis peu par les systèmes de publicité programmatique. JCDecaux comme Clear Channel utilisent aujourd’hui le data mining (exploitation des données) pour permettre, par exemple, à une marque d’imperméables de s’afficher sur les écrans dès qu’il se met à pleuvoir… Avec la possibilité de cibler des profils sociodémographiques.

Après le rebond, c’est désormais le phénomène de consolidation qui est en marche dans le secteur de la communication extérieure. Avec des acteurs de taille intermédiaires qui disparaissent, et de grands opérateurs nord-américains qui se retirent des marchés européens. Il y a quelques mois, JCDecaux mettait par exemple la main pour 75 millions d’euros sur les activités italiennes et espagnoles de son principal concurrent, le géant américain Clear Channel, détenu par des fonds. L’Américain cédait également fin 2023 au fonds d’investissement Equinox Industries ses activités françaises, rebaptisées depuis le début de l’année 2024 «Cityz Media» et présidées par Didier Quillot.

Au-delà de ses ambitions d’étendre ses parts de marché dans différents pays, JCDecaux s’est également positionné, de son côté, depuis quelques années sur l’ensemble de la chaîne de valeur du média, en proposant aux annonceurs sa plateforme programmatique de planning et de trading («adtech»), VIOOH.

En France, les recettes publicitaires de l’affichage extérieure sur les neuf premiers mois de l’année étaient en rebond de 5,1% sur un an, à 852 millions d’euros, selon les données les plus récentes du Bump. Si le média affichait la plus forte progression sur un an, juste devant l’univers du digital (search, social, display), il devrait rester légèrement en dessous de 2019. L’Hexagone reste par ailleurs le pays où le secteur de l’affichage est soumis aux plus grandes contraintes environnementales. Les règlements locaux autour de la publicité ont par exemple permis ces dernières années aux maires écologistes de Bordeaux, Grenoble et plus récemment Lyon de décider de réduire le nombre de panneaux présents dans l’espace public…